L'édito de Anthony Bekirov - Loi sur le cinéma suisse et nationalisme

Le 18 mai 2022

Si vous n’étiez pas au courant - et qui vous blâmerait étant donné le peu de fanfare à ce sujet dans les médias - le 15 mai a eu lieu une votation au sujet d’une «loi sur le cinéma» suisse. Évidemment, quand vous lirez ces lignes les résultats seront déjà tombés. Il ne s’agit donc pas ici de manifester pour ou contre cette proposition.

Mais pour ceux donc qui ne l’auraient pas vue passer, cette loi propose sur le modèle d’autres pays européens d’imposer aux sites de streaming d'investir dans l’industrie du cinéma suisse 4% de leurs revenus provenant de leurs antennes helvétiques. Auparavant, l’entièreté des revenus partait dans les productions étrangères. Il ne s’agit donc pas d’une taxe ou d’un impôt, mais d’un réinvestissement. Avec cette législation, ce serait environ 18 millions de francs qui seraient directement injectés dans la production de films et de séries du pays. À noter que comme il ne s’agit pas d’une taxe mais d’un prélèvement, cela ne devrait théoriquement avoir aucun impact sur le prix des offres de streaming, et donc le consommateur ne devrait voir aucune différence le concernant.

Laissons de côté les débats sur le pour ou le contre. Ce qui est intéressant comme toujours dans une votation, c’est le discours politique qui l’entoure. Dans la circulaire distribuée dans les boîtes aux lettres (sur laquelle il est proposé d’ailleurs de faire un don à on ne sait pas trop qui), il est question des arguments suivants: renforcer l’identité nationale et culturelle; renforcer la cohésion sociale (d’où leur slogan «Et si votre prochaine série préférée était suisse?»); faire face à la concurrence européenne en restant attractif et compétitif (il faudrait peut-être changer le verbe «rester» pour «devenir»). Le tout est agrémenté de témoignages de personnalités du 7e art - Ursula Meier, Claude Barras, Marina Rollman… - mais également politiques, si possible à tendances libérales.

Nous sommes donc pleinement dans des discours de type nationaliste un peu nauséabond, puisqu’il s’agit de protéger la Suisse contre un antagoniste étranger qui lui volerait son argent, qui est représenté par le marché du cinéma européen ainsi que les plateformes de streaming, boucs émissaires de choix pour tous les maux économiques liés à l’industrie cinématographique. Il est du reste très helvétique de croire que l’argent peut résoudre tous les problèmes et que, si le cinéma suisse ne rayonne peu ou prou à l’international, c’est parce que le pays n’a pas assez d’argent à y investir - un parangon d’hôpital qui se moque de la charité. Si le fond du problème était uniquement financier, cela ferait longtemps que la Suisse serait la plus grande nation de cinéma.

Assurément, il n’y a aucun mal à nourrir les talents locaux - et tout ce qui contribue à l’effervescence de la culture artistique est même plutôt bien. Mais il n’est pas nécessaire pour mettre en valeur la production artistique d’un pays de la positionner en opposition aux «autres». Comme à leur habitude, les discours des votations suisses préfèrent mettre les problèmes du pays sur le dos des «autres» plutôt que de remettre en question les dysfonctionnements internes. Godard disait dans sa fameuse vidéo de remerciement pour Cannes que le «cinéma suisse n’existait pas» - et il ne parlait pas de Netflix.