Cannes 2017 - Compétition officielle

Le 01 juin 2017

19 films cette année se sont disputés la Palme d'or, soit 19 réalisateurs étaient désireux de gagner une large reconnaissance, les uns présentant leur dernier opus, les autres leur premier film à être retenu pour cette Compétition officielle.

La sélection officielle est la plus convoitée et la plus réputée des compétitions. C'est également la plus médiatisée grâce notamment à la foulée du tapis rouge par les stars. Deux films hors-compétition ont été présenté dans ce même cadre, respectivement en ouverture et clôture de sélection, soit Les Fantômes d'Ismaël d'Arnaud Desplechin et D'après une histoire vraie de Roman Polanski.

Le Jury

JuryCannes2017

Le président : Pedro Almodovar (réalisateur, scénariste, producteur - Espagne), Maren Ade (réalisatrice, scénariste, productrice - Allemagne),

Jessica Chastain (actrice, productrice - Etats-Unis), Fan Bingbing (actrice, productrice - Chine), Agnès Jaoui (réalisatrice, actrice, scénariste, artiste-interprète - France),

Park Chan-Wook (réalisateur, scénariste, producteur - Corée du Sud), Paolo Sorrentino (réalisateur, scénariste - Italie),

Will Smith (acteur, producteur, musicien - Etats-Unis), Gabriel Yared (compositeur - France)

 

 

 

Palmarès

Palme d'or pour The Square de Ruben Östlund

Grand Prix pour 120 Battements par minute de Robin Campillo

Prix du Jury pour Faute d'amour d'Andreï Zviaguintsev.

Prix de la mise en scène pour Les Proies de Sofia Coppola.

Prix du scénario pour Mise à mort du cerf sacré de Yorgos Lanthimos et pour You Were Neve Really Here de  Lynne Ramsay.

Prix d'interprétation féminine : Diane Kruger pour Aus dem Nichts/In The Fade de Fatih Akin.

Prix d'interprétation masculine : Joaquin Phoenix pour  You Were Neve Really Here de  Lynne Ramsay.

Prix du Jury oecuménique pour Vers la lumière de Nami Kawase.

 

120Battements2

120 battements par minute de Robin Campillo

France, 2017. Avec Adèle Haenel, Arnaud Valois, Antoine Reinartz… Drame. Durée : 2h.20’.

Début des années 1990, choc. Après la révolution sexuelle et la libération des mœurs, l’irruption et l’épidémie du sida se répandent comme une traînée de poudre. Certains se mobilisent de suite et montent des actions spectaculaires et non violentes pour sensibiliser non seulement les individus, mais l’Etat afin qu’il développe le plus rapidement possible une politique de sensibilisation et de prévention. C’est ainsi que s’engagent sans compter les militants d’Act Up. Parmi eux, Nathan, très touché par la détermination et la volonté de Sean, atteint par le virus, qui, lui, joue ses dernières cartes…

Le plus fort de cette réalisation, soignée et fort bien découpée, empreint d’une force vitale peu commune, tient à la reconstitution historique et notamment à celle des débats et des actions menées courageusement par Act-Up, dont les militants, malades ou non, n’hésitent pas à s’introduire dans les bureaux d’une grande société pharmaceutique et à jeter des poches de faux sang contaminé contre les murs. Les nombreux personnages sont forts et émouvants et le récit invite à s’attacher aux uns et aux autres ; toutefois, fallait-il les suivre dans toutes leurs évolutions intimes, à l’instar de bien d’autres films auparavant, hormis le fait qu’il ne s’agit pas seulement cette fois-ci de faire l’amour, mais de se dire mutuellement jusqu’à évoquer son propre passé affectif ? Aujourd’hui, tant en France que dans la majorité des pays européens, la maladie régresse, mais il ne faut pas cesser d’en parler. C’est dire que les combats menés furent aussi importants que nécessaires pour vaincre les préjugés et contraindre les grandes sociétés pharmaceutiques à prendre leurs responsabilités morales et non seulement financières. (SM)

L’Amant double de François Ozon

France, 2017. Avec Jérémie Renier,  Marine Vacth,  Jacqueline Bisset. Musique : Philippe Rombi. Drame psychologique. Durée : 1 h.50’ AmantDouble2

Chloé, jeune femme fragile, gardienne dans un musée d’art contemporain, tombe amoureuse de Paul, le psychanalyste qu’elle consulte. Le problème, c’est que lui aussi succombe à la belle ! Conclusion : ils s’installent ensemble. Mais que sait-elle de cet homme ? Quelle est sa véritable identité ?  A-t-il vraiment un frère jumeau dont il veut taire l’existence… ? Et Chloé elle-même que sait-elle de sa naissance ?

Librement inspiré d’un roman de Joyce Carol Oates, ce film approche et explore le thème de la gémellité qui fascine autant qu’elle interroge. François Ozon joue, convoque rêves, voire cauchemars, et réalités dans un subtil jeu de miroirs. Qui fait finalement face à qui ? Jérémie Renier et Martine Vacth se laissent prendre aux jeux de l’amour où il n’y a plus de hasard, tant le passé inconscient et trouble semble marquer le présent. Toutefois, si Chloé semble se perdre à plusieurs reprises, n’est-ce pas pour se trouver, même si pour cela elle doit lutter corps à corps ? D’où les nombreuses scènes de sexe où finalement on fait l’amour pour se mener l’un l’autre à une surprenante mise à nu. (SM)

 

Aus dem Nichts/In The Fade de Fatih Akin

Allemagne, 2017. Avec Diane Krugger, Denis Moschitto, Johannes Krish, Samia Chancrin, Numan Acar. Drame politique. Musique : Queen of Stone Age. Durée : 1h.46’AusDemNichts2

Hambourg 2016 : Katja perd brusquement son fils et son mari dans un attentat à la bombe devant la boutique où il travaille. Avant l’arrestation et le procès des accusés, un homme et une femme appartenant à un groupuscule nazi en lien avec groupe grec d’extrême droite sympathisant, Aube dorée, de nombreux soupçons rôdent à propos du mari turc qui fit de la prison pour petits trafics et même de Katja, sa femme. Trois parties structurent ce film où Diane Kruger fait sentir la souffrance d’une femme dont l’existence bascule, dont le sens de l’existence s’évanouit en quelques secondes. Mais comment réagir : se suicider ? Faire confiance à la justice, même la présomption d’innocence profite à l’accusé ? Se venger ? A la manière d’un Costa Gavras, le réalisateur de De l’autre côté, tente un film politique, découpé en trois parties (le drame, le procès et l’épilogue), qui soulève de très lourdes questions éthiques. Il veut ainsi dénoncer la montée et les agissements graves de groupuscules néo-nazis (NSU) dont les procès de certains membres sont encore en cours. (SM)

Faute d’amour d’Andrey Zvyagintsev

FauteAmour2Russie, France, 2017. Avec Maryana Spivak, Alexey Rozin, Matvey Novikov, Marina, Vasilyeva, Andris Keishs, Alexev Fateev. Drame. Musique : Andrey Galperin. Durée : 2h.07’.

Aveuglement au rendez-vous. Elle et lui ne se supportent plus et ne se privent pas de se le rappeler mutuellement, voire de se le hurler, ce qu’Aliocha, leur fils de 11-12 ans a (trop) bien perçu. Le garçon a même compris, et surtout intériorisé, qu’il gêne, voire qu’il perturbe les nouvelles vies projetées de ses géniteurs. Ne ferait-il pas mieux de disparaître pour arranger tout le monde ? Son père est en effet sur le point de fonder un nouveau couple avec une jeune femme enceinte de lui, et sa mère désireuse de vivre une nouvelle aventure conjugale avec un riche divorcé dont la fille adulte réside en Espagne. On visite leur appartement commun sur le point d’être vendu. Les changements radicaux sont donc imminents, lorsqu’Aliocha effectivement disparaît. Fugue ? Enlèvement ?  Ne pouvant compter sur la police incapable, le couple, soutenu et aidé avec efficacité par un groupe bénévole spécialisé dans la recherche de personnes disparues, s’active inlassablement pour retrouver l’enfant. En vain. Se cache-t-il à la « base » dont il parle sur Facebook avec des camarades d’école ? Aurait-il rejoint sa grand-mère à la campagne ou … ?

Les relations humaines de cette famille font froid dans le dos : lorsqu’on se préoccupe de sentiments, ce n’est que des siens. Du coup, elle et lui sont d’autant plus obnubilés par l’amour qu’ils recherchent (et croient avoir trouvé) qu’ils se montrent aveugles ou indifférents à celui dont leur enfant n’a pas bénéficié. Attitudes et gestes, silences et dialogues attestent du degré zéro de la relation. Et si la neige tombe en finale, serait-ce pour faire croire que tout peut se cacher et augurer d’un nouveau départ ? Pas sûr que le réalisateur du Retour et du Léviathan en soit vraiment convaincu, vu le climat glacial de son film qui laisse ouverte la question du destin funeste, voire de la mort, d’Aliocha. (SM)

Une Femme douce de Sergei Loznitsa

FemmeDouce2

 

France, Allemagne, Lituanie, Hollande, 2017. Avec Vasilina Makovtseva. Drame. Durée : 2h.21’.

Un jour, une femme reçoit en retour et sans aucune explication le colis qu’elle a envoyé à son mari incarcéré dans une région reculée de Russie. Aussi décide-t-elle de le lui porter personnellement. Mais se rend-on sans risque au pays de la Kolyma ? Un petit problème administratif expliquera-t-il l’acheminement raté du paquet ? Faut-il imaginer une raison plus sérieuse ?

Deux longues heures permettent d’abord de découvrir les difficultés de déplacement pour les petites gens et de s’immerger dans le quotidien parfois insensé des arcanes administratives. Ainsi, en voyageant en bus ou en train ou à l’occasion d’un dialogue de sourds à l’office postal du lieu d’incarcération, on appréhende l’usure qu’instillent les refus minimes, les petites humiliations, etc., jusqu’à générer un profond sentiment d’absurdité. Dans la dernière partie de son film, juste avant l’épilogue, le cinéaste pour un temps délaisse son réalisme et opte pour une séquence fellinienne en mêlant baroque et farce rêvée qui soulignent, si besoin était, que le traitement dégradant des hommes – fussent-ils les plus doux – fait craindre le pire. Car lorsque l’humiliation s’érige en système, les êtres perdent contact avec le réel et voient la part lumineuse de leur humanité se dissoudre. (SM)

 

Good Time de Josh et Benny SafdieGoodTime2

Etats-Unis, 2017. Avec Robert Pattinson, Benny Safdie, Jennifer Jason Leigh. Musique : Oneohtrix Point Never. Thriller. Durée : 1 h.40’.

Après un hold up surréaliste qui conduit à l’arrestation de son frère Connie, Nick tente tout pour le faire sortir : caution, puis évasion. Mais divers obstacles se présentent. Sur un rythme effréné – l’ensemble se joue en quelques heures – et une musique trépidante et efficace, les frères Safdie livrent un film de genre où les surprises narratives sont au rendez-vous. Si les dialogues tiennent plus de l’onomatopée que des phrases construites et sensées, les séquences installent progressivement un étonnant climat. Le parcours des personnages, annoncé en ouverture par une confrontation étonnante et révélatrice entre un psychologue et Connie, s’éclaire peu à peu au travers de la cavalcade nocturne de Nick. L’exercice du genre est ici réussi, car il atteste d’un véritable point de vue, au-delà de toute réflexion morale, qui conduit les spectateurs à faire sien le regard de Nick, le frère manipulateur. (SM)

HappyEnd1

 

Happy End de Michael Haneke

Allemagne, 2017. Avec Isabelle Huppert, Jean-Louis Trintignant, Matthieu Kassovitz, Fantine Harduin. Drame. Durée : 1h.47’.

Sorte de suite à Amour, ce film, dans lequel on retrouve Isabelle Huppert et Jean-Luc Trintignant, explore avec minutie l’univers d’une famille bourgeoise européenne, les Laurent, qui cumule les crises. Un effondrement a blessé un ouvrier sur un chantier de leur société familiale, l’aïeul (Jean-Louis Trintignant), veuf, aspire à mourir, Anne (Isabelle Huppert) recueille son frère Thomas (Matthieu Kassovitz), sa femme et leur bébé dans la demeure patricienne, sans oublier la fille de Thomas (13 ans) qui vient de perdre sa mère.  Cette enfant ressent l’hypocrisie régnante, elle décèle les mensonges des adultes qui l’entourent, jusqu’à partager le regard désabusé, voire désenchanté, de son grand-père à qui on ne la fait pas. C’est pourquoi on se souviendra sans doute longtemps de la rencontre forte et émouvante entre cette enfant et ce grand-père qu’elle découvre et qui se découvre. Plus tard, une grande réception, donnée à Calais à l’occasion des fiançailles tardives d’Anne révélera les lézardes de tout ce monde riche de convenances et de politesse feintes derrières lesquelles se cachent les êtres. Car lorsque surgissent en plein repas de fête quelques migrants africains, apparaissent plusieurs fentes qui n’augurent rien de bon. (SM)

 

JourApres2

Le Jour d’après de Hong Sangsoo

Corée du Sud, 2017. Avec Haehyo Kwon, Minhee Kim, Saebyuk Kim, Yunchee Cho. Drame. Durée :  1h.32’.

Triangle amoureux coréen tourné en noir et blanc qui réunit le patron d’une maison d’édition, sa femme la maîtresse et une secrétaire. Scène forte en ouverture où une épouse soupçonne d’adultère son époux, Bongwan, et le soumet à la question. S’ensuivent des scènes très verbeuses à la maison d’édition de son mari avec une nouvelle secrétaire qui remplace la précédente, amante du patron.

Lâcheté et misogynie s’étalent ici au grand jour, alors que les comédiens paraissent surjouer et qu’étonnamment s’ajoutent à ce drame de mœurs, somme toute universel, une question sur le sens. « Vous devez croire en quelque chose, martèle l’une des femmes. Je peux mourir à tout moment, et je crois en ce monde. » Très fréquemment, de longs pugilats dialogués sont filmés à la manière d’un match de tennis, l’image se focalisant sur l’un, puis l’autre protagoniste. Les coups pleuvent et finalement on écoute beaucoup plus qu’on ne regarde. (SM)

 

 

La Lune de Jupiter de Kornel MundruczoLuneJupiter1

Hongrie, Allemagne, 2017. Avec Zsombor Jéger, Mérab Ninidze, György Cserhalmi, Móni Balsai. Drame. Musique : Jed Kurzel. Durée : 2 h.03’.

Un jeune migrant, séparé de son père, se fait tirer dessus en traversant illégalement la frontière hongroise. Le médecin qui soigne ce blessé, Aryan, découvre que son patient est capable de lévitation, ce qui lui donne quelques idées pécuniaires, lui qui n’a pas attendu cela pour trafiquer en profitant du phénomène migratoire. Après un début tourné dans un style réaliste pour évoquer la fuite perpétuelle des migrants, leurs angoisses et la traque qu’ils engendrent, le réalisateur glisse, voire passe à un film aux accents fantastiques pour développer une fiction surréaliste.

Du coup non seulement les genres s’unissent, mais surtout s’opposent et ce d’autant plus que le réfugié doté de pouvoirs angéliques – il vole –  semble, en tout cas pour le docteur Stern, être venu avec une mission spirituelle. N’est-il pas là pour appeler tout un chacun à lever les yeux et à quitter l’horizontalité mortifère, soulignée ici par le traitement des migrants, le trafic qu’ils engendrent, les couples qui se défont, l’euthanasie, la corruption, sans oublier bien sûr le rôle de l’argent ? – Peut-être. Mais qui embrasse trop mal étreint. C’est bien ce qui se passe dans ce film qui voudrait soulever de fortes questions en prenant les allures d’un film fantastique, et ce tout en composant avec le rythme d’un thriller, mais hélas cela ne prend pas. Sans aucun doute, des choix s’imposaient.  (SM)

 

MeyerowitzStories2

The Meyerowitz Stories de Noah Baumbach

Etats-Unis, 2017. Avec Adam Samler, Ben Stiller, Dustin Hoffman, Emma Thompson. Comédie. Musique : Randy Newman. Durée : 1h.50’.

Pour construire ce récit intergénérationnel d’une fratrie en conflit autour d’un personnage vieillissant, Woody Allen aurait fait preuve d’un tout autre doigté que Noël Baumbach. Le père (Dustin Hoffman), sculpteur et professeur d’art à la retraite, est hospitalisé d’urgence. Va-t-il s’en sortir, alors que ses trois enfants (de mères différentes) s’agitent dans tous les sens ?

Parmi les acteurs qui sont tous excellents dans leurs rôles respectifs, on notera particulièrement les prestations inattendues d’Adam Sandler et de Ben Stiller, condamnés jusqu’ici à ne jouer que dans des comédies où tous deux cachaient bien la profondeur de jeu dont ils sont capables et dont ils font ici preuve. Une scène qui les confronte les met à nu dans tout ce qui les unit au-delà de tout ce qui les oppose, jaloux qu’ils sont l’un de l’autre de leur place devant le père. Les regards des uns et des autres cristallisent l’ensemble qui atteste qu’il manque une dimension européenne à ce film pour qu’il sonne tout à fait juste. (SM)

 

 

La Mise à mort d’un cerf sacré de Yorgos LanthimosMiseAMortCerf1

Grèce, 2017. Avec Colin Farrel, Nicole Kidman, Barry Keoghan, Raffey cassidy Sunny Suljic. Drame. Durée :  1h.49’.

Après Canine et The Lobster, le réalisateur chemine une fois encore en compagnie de personnages fermés sur le monde et peut-être plus encore sur eux-mêmes. Anna (Nicole Kidman) et Steven Murphy (Colin Farrel) sont tous deux médecins, ophtalmologue et chirurgien. Lors d’une intervention il y a quelques années, Steven a entraîné la mort d’un des patients, ce qu’aujourd’hui lui rappelle vivement Martin, le fils adolescent du défunt, qu’il revoit de temps à autre. Mais cette curieuse relation ne se contente pas pour Steven de raviver un douloureux souvenir, car Martin, capable d’influer sur la santé d’autrui, exige une vie pour une vie.

Le chirurgien va-t-il céder à cette terrible demande ou ses enfants, voire sa femme commence à porter les signes annonciateurs du drame horrible qui se noue ? Tout se met irrémédiablement en place pour que s’opère l’offrande aux dieux – mais lesquels ? –, à l’instar d’Iphigénie en Tauride que lit la fille du couple. Lanthimos ouvre son drame fantastique et glacial, aux accents gore et en forme de tragédie grecque, sur quelques accords de la Passion selon St Jean de Bach qui sonnent faux. Les paroles chantées portent en effet un tout autre message que celui que distille avec précision ce cinéaste, expert dans l’instauration d’un climat malsain, voire pervers. (SM)

 

Okja2Okja de Bong Joon

Corée du Sud, Etats-Unis, 2017. Avec Tilda Swinton, An Seo Hyun, Paul Dano, Jake Gyllenhaal. Fable. Durée : 1h.58’.

Destiné à pointer du doigt la course au profit insatiable de certaines multinationales alimentaires, ce film propose une fiction dans l’air du temps, où les droits des animaux trouvent peu à peu leurs défenseurs. Dès l’âge de quatre ans, la jeune Mija a pris soin et s’est attachée à l’un des très rares gros cochons du monde. Adulte, l’animal doit être reconduit aux Etats-Unis et concourir pour le prix du plus beau spécimen mondial. Le voilà donc enlevé à sa protégée qui heureusement se voit soutenue par un groupe de défenseurs animaliers. N’hésitant pas à mêler parodie, surprises, gags potaches, citations du septième art, Okja – animal hybride créé pour l’occasion,  croisement d’hippopotame et de cochon – dénonce ce qui s’offre dans les assiettes des pays nantis non seulement en montrant les boucheries industrielles, mais également en surlignant les discours mensongers qui reprennent, pour mieux les détourner, les attentes des consommateurs. Tilda Swinton incarne avec brio une PDG aux dents longues, alors que le couple Minja-Okja pourrait émouvoir les enfants au cœur tendre, même s’il n’est pas sûr qu’ils apprécient la visite guidée pénible des abattoirs. (SM)

Proies2Les Proies de Sofia Copola

Etats-Unis, 2017. Avec Colin Farell, Nicole Kidman, Kirsten Dunst. Drame. Durée : 1 h.34’.

Fin de la guerre de Sécession, dans le Sud, quelques jeunes filles résident encore dans un pensionnat, entourées – gardées ? – par la directrice (Nicole Kidman) dudit établissement et son assistante. Ce microcosme très organisé et presque sourd aux lointains bruits de la guerre et insensible à la réalité de l’esclavage se voit perturbé par la découverte alentour d’un soldat (Colin Farell) yankee. Le recueillant et le soignant – on se dit chrétien dans cette institution –, le gynécée s’émeut. Or, le cœur ayant des raisons que la raison ne connaît pas, toutes les pièces s’assemblent progressivement pour, dans un premier temps, déstructurer la microsociété et, dans un second temps aussi radical que dramatique, déboucher sur un drame mortifère inéluctable aux accents comiques décalés.

Si l’atmosphère du Sud profond est bien rendue, la réalisatrice offre davantage de belles images qu’elle ne propose véritablement de point de vue. Cette fois-ci, pas plus que lorsqu’elle traitait de Marie-Antoinette, l’histoire ne semble l’intéresser, ce qui explique qu’elle ne se résume qu’à quelques infimes détails. L’ensemble –  remake du film de Don Siegel de 1971 avec Clint Eastwood en lieu et place de Colin Farell –  devient donc un produit léché sans grand intérêt, porté par d’excellents acteurs qui en assureront le succès au box-office. (SM)

Le Redoutable de Michel HazanaviciusRedoutable2

France, 2017. Avec Louis Garrel, Stacy Marin, Bérénice Béjo, Micha Lescot, Grégory Gadebois. Pastiche. Durée :  1h.47’.

Paris, 1967 : le septième art a élu son dieu, Jean-Luc Godard, et Anne Wiazemsky, qui incarne sa Chinoise, en est follement éprise. Le bonheur est au rendez-vous, mais ne durera pas. Mais 68 s’approche, on parle plus de révolution qu’on ne la fait, de changement radical qu’on ne l’ose. Godard après s’être épris de lui-même se déteste et ne veut plus jouer son rôle. Il se fourvoie et perd Anne du même coup. Le réalisateur poursuit les mises en abîme dont il a le secret et après avoir osé le film muet avec The Artist, il propose cette fois-ci un jeu de miroirs autour de la star et du réalisateur de Pierrot le Fou et du Mépris, en citant ces œuvres. Hélas il ne suggère rien de l’audace créatrice de Godard, ne semblant retenir que son comportement social peu amène.

Ce film, chapitré avec humour, truffé de clins d’yeux, multiplie les références et les allusions à un temps où philosophie et cinéma faisaient bon ménage. Bérénice Bejo et Louis Garrel (qui reprend l’accent, les intonations et les attitudes de JLG de manière troublante) incarnent les deux protagonistes d’une histoire très française qui vient à point nommé alors que cinquante ans ont passé depuis ce moment de cinéma si particulier que l’on désigne le courant de la Nouvelle Vague.

Désormais, il ne manque plus qu’un nouveau film de Jean-Luc Godard en écho – pour ne pas dire en réaction – à celui-ci et la boucle sera bouclée. (SM)

Rodin2Rodin de Jacques Doillon

France, Belgique, 2017. Avec Vincent Lindon, Izïa Higelin, Séverine Caneele. Drame. Durée :  1h.58.

Vincent Lindon, barbu, incarne avec force le génie dont le langage premier est celui du corps et en particulier celui de ses mains. Un même élan créateur l’anime que Camille Claudel, l’élève devenue assistante, muse créatrice et maîtresse : c’est d’ailleurs cela qui les unit au-delà de tout. En 1880, à 40 ans, Rodin reçoit sa première commande l’Etat, la Porte de l’Enfer inspirée de Dante, mais le film explore plus encore la création de Balzac. Plutôt que de se voir enfermer par une rigueur historique, Doillon laisse parler les œuvres elles-mêmes, qu’il filme avec une sensualité qui renvoie à celle des corps. Du coup l’on comprend l’intense relation libre qui unit les deux artistes – et consume Camille – et l’union avec Rose à laquelle Rodin ne mettra jamais fin. Grâce aux subtils cadrages retenus, le réalisateur place les œuvres au centre.

Et si l’on voit peu Rodin sculpter, c’est que c’est avant tout son regard qui fait la différence, regard global, tout à la fois soucieux des proportions et capable de ne pas s’y tenir pour traduire mieux encore l’intériorité d’un être. Ce film (adoubé par Musée Rodin), de facture classique, mais non pas académique, génère hélas l’ennui, mais livre néanmoins une mine d’informations, que seuls retiendront les familiers des noms de Monet, Cézanne, Rilke… (SM)

 

Square2

The Square de Ruben Östlund

Suède, Allemagne, France, Danemark, 2017. Avec Claes Bang, Elisabeth Moss, Dominic West, Terry Notary. Comédie existentielle. Durée : 2h.22’. 

Le musée d’art contemporain local a de l’audace : il ose recevoir des expositions qui laissent songeur et se cachent – ou se révèlent, c’est selon – derrière des notes d’intention que d’aucuns prendront pour du blabla. Le grand timonier de ce navire expérimental, moqué ici avec humour, c’est Christian, père de deux filles et dont il s’occupe lorsque c’est son tour, par devoir plus que par affection. Alors qu’il est sur le point de lancer une exposition événement « The Square » (le carré) destinée à ouvrir un espace restreint de bienveillance où se conjuguent droits et devoirs, il se fait voler portefeuille, téléphone portable et boutons de manchettes. Les bons sentiments qu’il professe y survivront-ils ou sombreront-ils dans sa quête pour récupérer ses biens ? Jusqu’où la direction du musée soutiendra-t-elle son directeur artistique lorsque cette nouvelle exposition est lancée par une vidéo douteuse ? La misère du monde peut-elle être mise en œuvre ?

Les questions fortes ne manquent pas. Ce sont tant celles portant sur l’art contemporain, audacieux, iconoclaste, dérangeant que celles relatives à la communication à outrance et à la nécessité absolue de créer le buzz sur la toile. Les valeurs tant individuelles que collectives sont remises en question : esthétiques, bien sûr, mais aussi morales liées au pouvoir et à l’aisance matérielle. A partir d’un scénario original, il est vraiment bienvenu le regard corrosif que pose sur notre société avide de culture le réalisateur de Snow Therapy. (SM)

VersLumiere1

Vers la lumière de Naomi Kawase

Japon, France, 2017. Avec Masatoshi Nagase, Ayame Misaki, Tatsuya Fuji, Kasuko Shirakawa. Musique : Ibrahim Maalouf. Durée :  1h.41’.

Misako qui aime décrire le monde qui l’environne fait de l’audiodescription de films pour malvoyants et non-voyants. Cet exercice n’est pas simple tant il s’agit de déployer au mieux et de manière précise l’imagination de ces auditeurs particuliers, sans « projeter » ses propres émotions et interprétations. Lors de séances tests avec quelques auditeurs, elle fait la connaissance d’un photographe de renom en train de perdre la vue. Après An – Les Délices de Tokyo, la réalisatrice japonaise révèle à tout un chacun les enjeux de l’audiodescription et ce faisant associe le spectateur à un exercice d’attention inédit et à développer en particulier son ouïe et sa vue.

On est ici bien loin du handicap à plaindre, pour au contraire le recevoir comme une leçon adressée à ceux qui n’en souffrent pas. Misako veut progresser et se souviendra pour cela de la manière dont, enfant, son père la conduisait à assister au coucher de soleil. Et alors que la santé de sa mère décline, elle en vient à comprendre, plus encore à recueillir au plus profond ce propos du photographe : « Rien n’est plus beau que ce qu’on a sous les yeux et qui s’apprête à disparaître ». Frémissements dans les feuilles, traits de lumière qui irradient les plans, forment, avec les accords musicaux composés et interprétés par Ibrahim Maalouf, un poème visuel et auditif d’une intensité rarement atteinte. (SM)

 

 

YouWereNeverReally2

You Were Never Really Here de Lynne Ramsay

Etats-Unis, 2017. Avec Joaquin Phoenix, Ekatarina Samsonov, Alessandro Nivola. Durée : 1 h.35’

Joe, vétéran brutal et torturé, a reçu pour mission de retrouver la petite fille d’un sénateur enlevée. Qui sont les ravisseurs ? Quels sont leurs mobiles ? Ces deux questions et bien d’autres resteront sans réponse explicite. Le scénario suggère seulement que le passé, voire l’enfance du redresseur de tort qui utilise avec efficacité un marteau et mime avec humour « le fils à sa maman » de Psychose, sont extrêmement lourds, mais on n’en saura pas beaucoup plus : Joe est un taiseux dont la seule tendresse s’exerce vis-à-vis de sa vieille mère et de la gosse qu’il finit par récupérer.

A part cela, une violence extrême remplace tout dialogue véritable et n’épargne guère le spectateur. L’enfermement de Joe est total, ce que les cadrages ne cessent de souligner. La gosse est d’ailleurs la seule qui serait capable de le faire sortir du cauchemar au quotidien qu’est devenue son existence. « C’est une belle journée. Alors, on y va ? », dit-elle à son « sauveur ». La fin reste donc ouverte : elle s’imposait après une telle horreur. (SM)

 

Wonderstruck de Todd HaynesWonderstruck2

Etats-Unis, 2017. Avec Oakes Fegley, Julianne Moore, Michelle Williams, Milicent Simmonds, Jaden Michael, Tom Noonan. Musique : Carter Burwell. Histoire de vies. Durée : 1h.57’.

Adapté du roman éponyme de Brian Selznick, ce film relate en deux périodes distinctes, 1927 et 1977, la quête de deux enfants sourds et mal-aimés. Rose veut absolument rejoindre une actrice dont elle suit les moindres faits et gestes, alors que Ben aimerait tant rejoindre le père qu’il n’a jamais connu. Tous deux déboulent à New York où presque chaque scène de l’une fait écho à celle de l’autre. Ainsi le film propose-t-il une structure symétrique, alternant le noir-blanc et la couleur, le parler et le gestuel.

Si le trajet de Rose est une succession de dévoilements et que celui de Ben se place davantage le merveilleux, ces deux fils mettent néanmoins beaucoup de temps à se nouer et à générer l’émotion. Et lorsqu’enfin naît cette dernière, elle s’accompagne bien vite de trop d’explicitations. On glisse ainsi vers les bons sentiments, soulignant ce que peut signifier la surdité et le fait d’être orphelin. Quant à la musique, sympathique pour particulariser l’une ou l’autre époque, elle prend les allures d’une nappe lourde dont on se passerait souvent bien volontiers. (SM)