Dans ses yeux

Affiche Dans ses yeux
Réalisé par Juan José Campanella
Titre original El Secreto de sus Ojos
Pays de production Espagne, Argentine
Année 2009
Durée
Musique Federico Jusid, Emilio Kauderer
Genre Drame
Distributeur Pretty Pictures
Acteurs Ricardo Darín, Soledad Villamil, Pablo Rago, Javier Godino, Guillermo Francella
Age légal 14 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 615
Bande annonce (Allociné)

Critique

Construit sur un long flash-back entretenant lui-même de constants allers-retours dans le temps, Dans ses yeux, le dernier long métrage du cinéaste argentin Juan José Campanella (Oscar du Meilleur film étranger, 2010), se présente comme un film subtil, réfléchi et riche en significations.

Buenos Aires, 1999. Inspecteur et juriste à la retraite, solitaire et désabusé, Benjamin Esposito essaie d’écrire un roman sur une affaire sordide - «classée» pour des raisons politiques semble-t-il - dont il a été le témoin privilégié il y a 25 ans. Son travail d’écriture va le ramener, difficilement, vers un meurtre qui l’obsède, en même temps que vers l’amour qu’il portait alors à sa jeune supérieure hiérarchique, Irène, qui venait d’être engagée.

Une affaire sordide: une jeune femme a été violée et assassinée, et deux maçons arrêtés et condamnés sans souci de justice. Persuadé qu’il s’agissait d’une erreur judiciaire, Esposito avait alors repris l’enquête et démasqué, avec l’aide discrète d’Irène, le vrai coupable. Avec ce projet d’écrire un roman il se replonge dans la période politique sombre de l’Argentine des années 70 (en 1974 c’est la mort de Peron, et deux ans plus tard l’arrivée au pouvoir des militaires). Le vrai coupable sera cette fois-ci condamné et emprisonné, mais relâché peu après par la junte militaire qui en fera un indicateur chargé de débusquer les citoyens «subversifs». Tout au long de la longue enquête qu’il va mener, Esposito ira de surprise en surprise, découvrant, un quart de siècle plus tard, d’autres choses très surprenantes…

Construit sur deux époques et deux récits - l’enquête criminelle menée par Esposito, et sa nouvelle rencontre avec Irène, qu’il a toujours aimée en secret -, Dans ses yeux est un film captivant, un jeu de miroir astucieux et une mise en perspective d’événements qui semblent se répondre les uns aux autres. Ce long métrage traverse, avec beaucoup de doigté, tous les genres cinématographiques, du polar au thriller politique, de la comédie au mélodrame. Très riche en significations, il ouvre une multitude de pistes de réflexion: le rôle de la mémoire et les effets des souvenirs; la question de la peine de mort et celle d’une justice qu’on veut rendre personnellement; la violence et les abus politiques; les problèmes liés à la vie affective de chacun, l’amour et ses non-dits, les regrets de n’avoir pas osé; le sens de l’existence aussi, avec la peur de découvrir le vide de sa vie: «N’y pensez pas, sinon vous auriez mille passés et pas de futur. On ne va pas refaire l’histoire avec des si…si…» affirme un protagoniste.

Juan José Campanella excelle à décrire la vie intérieure de ses personnages: timidités, hésitations, gestes esquissés, tentatives de faire front, tout est présenté par petites touches, précises et nuancées à la fois, avec une priorité donnée au regard (cf. le titre). Des premières jusqu’aux dernières images, EL SECRETO DE SUS OJOS est en effet un film sur le regard, celui d’Esposito posé sur Irène et qu’elle ne sait pas interpréter, celui du meurtrier sur Irène et qu’elle comprend immédiatement, celui des victimes sur leurs bourreaux… Tout au long du film ce sont les yeux qui parlent.

Dans ses yeu peut être considéré comme une œuvre tout à fait classique dans sa forme, mis à part - clin d’œil amusé au rayon des effets spéciaux? - le plan séquence virtuose de l’arrestation du meurtrier dans un immense stade. C’est aussi un film d’atmosphère original, qui s’appuie sur une intrigue complexe mais lisible, même si le réalisateur prend plaisir à brouiller les pistes (est-ce par fidélité au roman d’Eduardo Scheri, La Pregunta de sus ojos, à l’origine du scénario?) Le montage est parfait, usant de fréquentes et subtiles coupures, ou d’ellipses qui permettent au récit de garder son rythme et de progresser de façon harmonieuse. Dans ses yeuaurait peut-être pu, c’est vrai, être resserré dans sa dernière partie, même si le retournement final, qui redistribue les cartes, est étonnant.

Les rôles des deux protagonistes principaux - Esposito, esprit torturé, réservé en politique comme en amour, et Irène, parfois portée aux compromis, mais efficace - ont été confiés à deux acteurs argentins très connus, Ricardo Dorin et Soledad Villamil. Leur interprétation est tout simplement remarquable, comme celle de tous les personnages secondaires, bien campés et intéressants (que l’on pense à l’adjoint d’Esposito, qui noie son existence dans les bars et l’alcool, ou à Morales, le mari de la victime, bien décidé à mener tout seul sa propre enquête).

Oscar du Meilleur film étranger 2010 à Hollywood, ce film tout de délicatesse et de finesse psychologique mérite pleinement cette distinction.

Antoine Rochat

Appréciations

Nom Notes
Antoine Rochat 17
Georges Blanc 15
Daniel Grivel 16
Serge Molla 18
Geneviève Praplan 15
Anne-Béatrice Schwab 17