4 mois, 3 semaines et 2 jours

Affiche 4 mois, 3 semaines et 2 jours
Réalisé par Cristian Mungiu
Pays de production Roumanie, Belgique
Année 2007
Durée
Genre Drame
Distributeur Bac Films
Acteurs Luminita Gheorghiu, Anamaria Marinca, Laura Vasiliu, Vlad Ivanov, Alex Potocean
N° cinéfeuilles 548
Bande annonce (Allociné)

Critique

"Le troisième long métrage du réalisateur roumain né en 1968 s'inscrit dans une série intitulée TALES FROM THE GOLDEN AGE (Récits de l'âge d'or). Il y a de l'ironie dans cet âge d'or, puisqu'il fait référence à la Roumanie communiste...

On est en 1987, vingt-sept ans après la promulgation d'une loi interdisant l'avortement. Deux jeunes provinciales, Otilia et Gabita, partagent une chambre dans un foyer d'étudiants à Bucarest. Le spectateur ne tarde pas à comprendre que les deux copines sont confrontées à un problème épineux: Gabita est enceinte et a décidé de se faire avorter. L'entreprise est difficile dans un milieu marqué par la pénurie et le manque d'argent, sans parler de la méfiance générale engendrée par un régime policier pesant. L'unique recours semble être un ""M. Bébé"", qui veut faire payer ses services en nature.

L'ensemble du film baigne dans une ambiance glauque, soulignée par des décors grisâtres et une lumière bleutée, le tout non dénué d'un certain misérabilisme. Les réceptionnistes d'hôtels (il faut trouver une chambre pour opérer) sont aussi aimables que des portes de prison; le faiseur d'anges se distingue par un réalisme sordide (il ne faudra pas jeter le fœtus, entier ou en morceaux, dans les toilettes, sous peine de les boucher; il ne faut pas l'enterrer, au risque que des chiens errants ne le dévorent; il faut le jeter du haut d'un dixième étage dans un dévaloir d'immeuble). Bref, on est loin de la bluette pour festivaliers en goguette...

Beaucoup de plans fixes, de tristes péripéties, un âge de plomb plutôt que d'or. Une évocation crue et rude d'une époque que l'on espère révolue. Et une mention pour Anamaria Marinca, magnifique Otilia qui se bat pour son fiancé sous domination maternelle et pour sa copine irresponsable.

Au demeurant, le Jury a eu raison de décerner la Palme d'Or, encourageant ainsi, comme l'a relevé Cristian Mungiu, de petits cinéastes, de petits pays et de petits budgets.



Daniel Grivel





Le film âpre et lourd, sur un sujet grave tiré d’un fait réel, interpelle violemment.

1987, la Roumanie vit les dernières heures d’un régime communiste oppressant. Otilia (Anamaria Marinca) et Gabita (Laura Vasiliu), étudiantes, sont les meilleures amies du monde. Elles partagent une chambre dans la «résidence» universitaire d’une petite ville de province. Gabita est enceinte et ne veut absolument pas garder l’enfant. Otilia va l’aider dans ses démarches. Bravant la loi - car l’avortement est interdit -, elles prennent le risque d’un avortement clandestin, sans vraiment savoir ce qui les attend.

Le premier niveau qui frappe, c’est l’histoire de l’avortement lui-même. On en découvre les difficultés et la complexité: le coût, le marchandage, le lieu, l’angoisse, la terreur devant le calendrier, le fœtus grandit chaque jour, déjà plus de quatre mois… et la méconnaissance du comment de la réalisation de cet acte. Puis «l’acte» réalisé dans des conditions sordides où l’avorteur, Monsieur Bébé (!), abject de surcroît, détaille froidement les risques encourus avant d’«opérer». Enfin, l’élimination en cachette de ce fœtus ensanglanté emballé dans un linge. Dramatique! Pour Gabita autant que pour Otilia, leur révolte politique semble avoir cédé devant ces ressentis qu’on appelle douleur, blessure, traumatisme qu’elles essayent d’enfouir quelque part au tréfonds de leur être intime. On entend les cris étouffés des milliers de femmes qui ont subi ces solutions barbares et qui en sont mortes.

Secondement, émerge de ce scénario le contexte politique, celui de l’oppression dans lequel vit tout le pays. La génération précédente semble baisser l’échine. On mange, on boit, on fait des enfants, on se pose pas trop de questions, surtout si l’on a un peu d’argent. Mais pour ces jeunes de famille modeste, quel avenir? Le climat est étouffant. Même si des velléités de révolte grondent, ou si l’on sent des élans de liberté, le plus souvent ces énergies avortent. Les jeunes tournent en rond comme les poissons rouges dans l’aquarium de Gabita. De plus, la ville, les immeubles vétustes, les paysages de l’époque, tout l’environnement transpire la désolation.

Mais surtout, il y a l’esthétique à laquelle le réalisateur recourt: sobriété des moyens pour un maximum d’effets, décors naturels, réalisme jusqu’à être glaçant, mise en scène en longs plans-séquences. Il pose un regard froid sur ce qui se dit ou sur ce qui se passe, sans réflexion ni morale. De plus, les visages ne sont jamais filmés de face. Les longues scènes dans une chambre fermée, comme la chambre d’étudiants ou la chambre d’hôtel, font saisir le drame jusqu’à l’insoutenable. Le réalisateur joue avec nos nerfs et ne nous lâche pas. On est comme aspiré dans l’image. La bande-son qui amplifie les respirations, les bruits d’escaliers ou d’écoulement d’eau, nous agresse par son hyperréalisme. Le travail sur la lumière rend la nuit mortifère. Le film serait-il une allégorie sur le régime totalitaire de Ceaucescu?

4 MOIS, 3 SEMAINES ET 2 JOURS: Palme d’Or du Festival de Cannes. Cependant, on souscrit à ce qu’écrivait une professeur de littérature au retour du cinéaste: «Je suis très fière du succès du film, il améliore l’image de notre pays. Mais j’ai du mal à le regarder: l’univers qu’il décrit est justement ce que je veux oublier.» C’est peut-être cet espoir qu’apporte la palme. Mais elle est due avant tout à une esthétique efficace nourrie par une culture cinématographique roumaine confirmée.



Claudine Kolly"

Ancien membre