Ten

Affiche Ten
Réalisé par Abbas Kiarostami
Pays de production Iran, France, U.S.A.
Année 2001
Durée
Genre Drame
Distributeur MK2 Diffusion
Acteurs Mania Akbari, Amin Maher, Kamran Adl, Katayoun Taleizadeh, Roya Arabshahi
Age légal 10 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 438
Bande annonce (Allociné)

Critique

"On connaît, parmi les habitudes de Kiarostami, celle de faire parler ses personnages dans le huis clos d'une voiture. Dans TEN le cinéaste accompagne de sa caméra une jeune femme - photographe iranienne, milieu aisé - lors des multiples trajets qu'elle effectue en ville. Ses interlocutrices fortuites sont ses amies, une vieille femme, une prostituée. Sans oublier son propre fils de 12 ans qu'elle véhicule de-ci de-là et qui, souvent rebelle, en profite pour lui dire ses quatre vérités.

Tourné avec des acteurs non professionnels et en DVD (dont Abbas Kiarostami a découvert les avantages techniques en réalisant son dernier documentaire, ABC AFRICA, en 2000), TEN est une réflexion sur la condition féminine en Iran, tournée sous la forme de dix séquences, avec plusieurs personnages féminins qui sont confrontés à des situations de crise, ou qui vivent un moment particulier de leur existence. Dix séquences qui pourraient bien être dix étapes de la vie émotionnelle d'une seule et même femme.

TEN souffre peut-être d'une abondance de dialogues, mais il faut reconnaître à Kiarostami une parfaite maîtrise dans la direction de ses interprètes - l'enfant en particulier est parfait - ainsi que l'intelligence et la finesse de ses propos.





Avec un film où - apparemment - toute mise en scène a disparu, Abbas Kiarostami laisse librement parler ses personnages. Une œuvre parfaitement maîtrisée et d'une qualité d'authenticité et de naturel rare.

Avec ABC AFRICA (un document sur le Sahel, tourné en 2001, non distribué en Suisse) le cinéaste iranien avait découvert les avantages techniques de la vidéo numérique. Avec TEN, il utilise à nouveau ce procédé (""une caméra légère, discrète et économique"", dit-il) dans un film de fiction qui a l'allure d'un documentaire.

Depuis ET LA VIE CONTINUE jusqu'à LE GOÛT DE LA CERISE en passant par AU TRAVERS DES OLIVIERS, on connaît les habitudes d'Abbas Kiarostami, en particulier celle de faire parler ses personnages dans le huis clos d'une voiture. Ainsi dans TEN, où le cinéaste accompagne une jeune femme - photographe iranienne, milieu aisé, interprétée par Mania Akbari - lors des multiples trajets qu'elle effectue pendant une journée dans les rues de Téhéran. Ses passagères et interlocutrices fortuites sont des amies, une vielle femme, une prostituée, des inconnues. Sans oublier son propre fils de 12 ans qu'elle véhicule à plusieurs reprises de-ci de-là et qui, volontiers rebelle, en profite pour lui dire ses quatre vérités.

Tout au cours des dix séquences du film - et sans jamais se rencontrer les uns les autres - les différents personnages successivement embarqués par la conductrice parlent d'eux-mêmes, semblent s'interroger mutuellement à distance et se proposer des réponses. Au travers des conversations apparaissent peu à peu les secrets, les douleurs, les attentes de chacun. Et de ces subtils et étonnants dialogues avec celle qui tient le volant (et le fil conducteur du récit) se dégage, au gré des rencontres, une cohérence interne qui se glisse peu à peu dans le désordre apparent des propos en leur donnant un sens, tandis que l'émotion s'en va grandissante. Se construit ainsi, pour la conductrice, une nouvelle image de la vie, une réflexion inattendue qui l'amènera peut-être à modifier sa propre façon d'être et de réagir. De peu attentive qu'elle était aux propos de son fils, elle va apprendre à écouter, à questionner ses passagères (toutes des femmes, sauf le jeune garçon), et à abandonner une attitude d'abord teintée d'indifférence. Sans doute sortira-t-elle de cette journée avec une vision modifiée des choses de la vie. Et l'enfant aussi va nuancer ses propos et évoluer, semble-t-il, dans ses jugements. Ou est-ce le spectateur qui comprend peut-être mieux le jeune garçon depuis qu'il a croisé son père?...

De quoi parle-t-on dans cette voiture? Très librement de l'existence, de la religion, de la sexualité, de la famille, de la vie de couple et du divorce, de tout et de rien, mais d'un ""rien"" qui n'est jamais banal et toujours surprenant.

Au premier abord, un spectateur de TEN pourrait penser que toutes les rencontres qui ont lieu dans ce véhicule sont le fruit du hasard, qu'il n'y a pas de mise en scène et que toutes les interlocutrices de la conductrice sont des actrices non professionnelles. Il n'en est rien: tant ce que l'on perçoit du monde extérieur de Téhéran, à travers les vitres, que tout ce qui se dit à l'intérieur de la voiture, tout cela a été très soigneusement conçu, écrit et joué. Et paradoxalement c'est de cette rigueur préétablie du scénario et des dialogues, de ce huis clos artificiel et constant, et de cette contrainte de l'enfermement exercée sur toutes les comédiennes et sur le jeune garçon que surgira une image du réel qui donne l'impression que tout cela a été pris sur le vif.

La valeur de TEN, on l'a compris, tient à cette succession d'images vraies, de réflexions en prise sur la réalité iranienne, de rencontres qui dégagent beaucoup d'authenticité et d'émotion. Abbas Kiarostami a su à la fois s'effacer, dans l'apparente discrétion de sa mise en scène (alors même qu'elle est en réalité très présente) et s'imposer, avec une direction d'acteurs remarquable (on pense tout particulièrement au jeu parfait du jeune garçon, qui est par ailleurs le fils de Mania Akbari, la conductrice).

TEN est un film qui, de par tous les visages que l'on croise et toute la richesse des propos échangés, va bien au-delà du cadre et des problèmes de la société iranienne."

Antoine Rochat