Selon Matthieu

Affiche Selon Matthieu
Réalisé par Xavier Beauvois
Pays de production France
Année 2000
Durée
Genre Drame
Distributeur Mars Distribution
Acteurs Nathalie Baye, Benoît Magimel, Antoine Chappey, Fred Ulysse, Jean-Marie Winling
Age légal 12 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 406
Bande annonce (Allociné)

Critique

"Le discours politique français est fortement polarisé. Gauche ou droite, pas de milieu.

L'excellent film de Xavier Beauvois, ce décor bipolaire planté, va plus loin. Il met l'humain à la première place pour approcher des questions profondes, françaises et universelles, dans un langage cinématographique tout empreint de rigueur et de nuances.

Souvent les films français se laissent prendre au piège du discours verbal et des idées développées, le tissu audiovisuel ne servant que de toile de fond. SELON MATTHIEU part d'un canevas simple: Francis a deux fils et travaille dans la même usine qu'eux, jusqu'au jour où il se fait licencier. La direction applique un nouveau règlement à la lettre. Le père meurt peu après et le film se concentre sur la réaction de Matthieu. Sans éluder la question de fond posée par ce drame social, Xavier Beauvois développe son discours d'abord avec des images et des sons, en des ""mots"" magnifiques tirés de son vocabulaire audiovisuel. Il confirme: ""Quand, au repas de chasse, Matthieu a la main sur l'épaule de son père ou lorsqu'il pêche avec lui, ça raconte un milliard de choses"". C'est de ce milliard de choses que SELON MATTHIEU est riche, pour ce milliard de choses qu'il faut aller le voir.

Remarquables sont les cadrages: chaque plan, pensé et construit dans une superbe esthétique, apporte au propos toute sa force. La lumière, savamment dosée en touches claires-obscures, dessine au fil des minutes des tableaux magnifiques. Ceux-ci, nous devenant intérieurs, colorent le récit d'une ample musique humaine. La mise en scène (sans doute le point faible de Beauvois) fonctionne en bonne complicité avec les options de l'écriture: tantôt très élaborée, tantôt complètement relâchée. Cette géométrie variable provoque pourtant quelques ruptures de rythme. Cela n'empêche pas Nathalie Baye de développer sur cette trame une interprétation toute de charme et de finesse du personnage de Claire, sur laquelle repose finalement l'essentiel du défi du film. Ce défi consiste à démonter le manichéisme, cette mécanique simpliste qui voudrait que le monde se départage de manière définitive entre bien et mal, bons et méchants, patrons et ouvriers.

""Je connais bien les deux extrêmes, le milieu ouvrier et les milieux aisés que mon métier m'a permis d'approcher, confie le réalisateur. J'ai pris comme principe de base qu'aucune des deux classes n'ait raison au dépens de l'autre. Personne n'a tort et personne n'a raison.""

Matthieu donc, voulant venger la mort de son père, s'approche incognito de Claire, la femme du PDG de l'usine... mais les choses ne vont pas comme il l'avait pensé.

Heureusement! Car c'est précisément dans cette ouverture à l'inattendu que se tisse la valeur du film. Dans cet espace laissé au doute, à la remise en question, aux coups de têtes ou de griffes, aux caresses et, avant tout, à la rencontre avec l'autre, vient somptueusement se loger l'humain. En partant de ces deux êtres qui pourraient s'aimer, le message peut ensuite investir d'autres strates du récit et se transposer presque tel quel. Dans la sphère sociale, par exemple, le message se conjugue au futur: au-delà des disparités sociales, le salut ne viendra que si l'humain triomphe des affrontements partisans.

Le message se transpose aisément dans la sphère familiale, clé de lecture pour décrypter le passé, vivre le présent et bâtir demain. Il n'y a pas d'autre issue que la communication entre chacun de ces êtres jusqu'ici repliés sur eux-mêmes. A cet égard, la scène finale, sommet de la fresque, ouvre une ère nouvelle.





Références à l'Evangile: aucune



Malgré ""La Passion selon Matthieu"" de Bach qui habille le générique, malgré le titre choisi, Xavier Beauvois réfute toute intention de lien entre son film et l'Evangile. Cela ne l'empêche pas, pour le bon poids, d'ajouter un curé qui nous parle de la vie éternelle et une statue du Christ - plâtre muet, filmé en gros plan - au cœur de l'enterrement du père. Les cinéphiles feront peut-être au passage quelques rapprochements (sur un mode mineur) avec Pier Paolo Pasolini: les écartèlements idéologiques du marxiste-chrétien; les prouesses narratives de l'intellectuel-poète; l'utilisation de la musique, des paysages et de la nature en contrepoint des descriptions humaines.

Reste que sur le fond, le spectateur chrétien aura plus d'un os à ronger en méditant SELON MATTHIEU: en particulier ce qui touche à la réconciliation, au combat pour la justice, au rôle de la famille. Et aussi cette question: (pourquoi) le Christ de SELON MATTHIEU n'est-il que de plâtre? (J. M.)"

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