Critique
"Rarement une œuvre autobiographique a été plus proche de la réalité que ce film dans lequel l'écrivain-cinéaste se livre au plus profond de lui-même. Son parcours mouvementé est ici transcendé et nous conduit à ce qui est essentiel, au cœur de l'homme.
Dans sa jeunesse, troublée par le drame de l'occupation, Giovanni a été un mauvais garçon, jugé à la suite d'un racket qui a mal tourné. Après une tentative d'évasion, il est condamné à mort. Il sera gracié par le président Auriol, puis réhabilité. Il va passer de nombreuses années en prison et décrira ce milieu carcéral dans son premier roman ""Le trou"". Jacques Becker l'adaptera au cinéma en 1960.
Jour après jour, durant quatre ans de procès et d'appels, le père de Giovanni, dont le fils aîné avait été tué, se rendait dans un petit bistro qui faisait face à la maison d'arrêt où il rencontrait des familles en attente d'une sortie et des gardiens qui lui donnaient des nouvelles de son fils. Inlassablement, il tentait tout ce qui pouvait être fait pour obtenir la grâce de son fils. Il y parviendra.
Mais l'intérêt et la profondeur de ce film ne résident pas là. Ils se situent dans la symbolique du mur qui se dresse autour de la prison et celle d'un pont qui ouvre le film. Car, en effet, le père, personnage étrange, instable et joueur, et son fils n'ont jamais réussi à communiquer. Une sorte de mépris apparent les séparait au point que José (Manu dans le film) ignorera longtemps que c'est à son père qu'il devra la grâce et la vie.
José Giovanni écrit son livre et sur le conseil de Bertrand Tavernier en fait un film pour payer sa dette envers ce père méconnu. C'est une sorte de chant d'amour qui a mûri au cours des années et qui n'en est que plus émouvant. Il met en scène un certain nombre de personnages qui ressurgissent de sa mémoire et qui lui ont aidé à survivre, tel ce gardien-chef qu'incarne Rufus.
Mais surtout, il a trouvé en Bruno Cremer l'acteur qui a réussi à donner au personnage de son père la dimension humaine nécessaire à cette reconnaissance. Il est étonnant de vérité dans ses silences, ses non-dits et surtout dans son regard.
Certes ce film peut paraître quelque peu démodé dans son style d'une autre époque. Le thème abordé de cette relation souterraine entre un père et un fils a quelque chose de romantique. Pourtant Giovanni réussi à éviter le mélodrame. Avec le recul que lui ont donné cinquante années, il signe une œuvre forte de retenue, de pudeur et de profonde sincérité.
José Giovanni
José Giovanni est né à Paris en 1923 d'une famille un peu nomade, d'origine corse. Il fera tous les métiers jusqu'à la guerre durant laquelle il fera de la résistance et s'engagera comme guide de montagne. Entraîné par son oncle dans un trafic louche, il sera condamné à mort, puis gracié. A 33 ans, il sort de prison et commence pour lui une carrière d'écrivain et de réalisateur. Parmi ses films, citons entre autres LE RAPACE (1968), DERNIER DOMICILE CONNU (1969), DEUX HOMMES DANS LA VILLE (1973), LE RUFFIAN (1983). Il vit actuellement en Valais."
Maurice Terrail