Tableau noir (Le)

Affiche Tableau noir (Le)
Réalisé par Samira Makhmalbaf
Pays de production Iran, Italie, Japon
Année 2000
Durée
Musique Mohammad Reza Darvishi
Genre Drame, Guerre
Acteurs Bahman Ghobadi, Behnaz Jafari, Said Mohamadi, Mohamad Karim Rahmati, Rafat Moradi
Age légal 12 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 394
Bande annonce (Allociné)

Critique

On attendait avec intérêt le deuxième film de Samira Makhmalbaf: la benjamine iranienne de la compétition (vingt ans) a réussi son examen d'entrée dans la cour des grands. Quittant Téhéran (LA POMME, film sur la condition féminine) pour le Kurdistan, la cinéaste présente LE TABLEAU NOIR, une oeuvre à la fois belle et forte: à la suite d'un bombardement au Kurdistan iranien, des instituteurs courent dans la montagne à la recherche d'élèves, avec des tableaux noirs accrochés à leurs dos qui les font ressembler à d'étranges oiseaux maladroits. L'un d'eux croise sur son chemin une dizaine de petits enfants qui font de la contrebande. Il essaie de leur apprendre à lire et à écrire, mais aucun ne s'y intéresse vraiment... Un autre rencontre un groupe de vieillards kurdes qui cherchent à rejoindre leur terre natale, l'Irak. Avec un sens aigu de l'image et de la métaphore, Samira Makhmalbaf parle de son pays, de sa culture, du problème kurde. Un film qui peut déconcerter, mais une oeuvre poétique qui en dit plus long sur la misère du peuple kurde que nombre de reportages. C'est là sans doute sa qualité première.



Antoine Rochat





Une somptueuse fresque symbolique, un magnifique hymne au cinéma, à sa puissance d'évocation et à sa grâce dans l'expression: voilà ce qu'est d'abord LE TABLEAU NOIR de la brillante Samira Makhmalbaf. Le cinéma est éternel: si l'on en doute, ce film le prouve dès la première image, sublime.

Une volée d'instituteurs, leur tableau noir ficelé sur leur dos, gravissent un chemin escarpé du Kurdistan iranien à la frontière avec l'Irak, dans le décor montagneux qui sert de toile de fond à tout le récit. Entre peur de la mort - qu'on entende un hélicoptère patrouiller dans le ciel et ils se camouflent derrière leur tableau-bouclier - et soif d'absolu - l'instant d'après, le même objet pourrait leur servir d'ailes - ils n'ont qu'un but: chercher des élèves pour leur prodiguer le savoir, source de salut.

Le film suit plus particulièrement deux de ces étranges chercheurs d'élèves. L'un traverse des villages déserts et finit par trouver une horde d'hommes âgés qui n'ont qu'une idée en tête: retourner mourir dans leur Irak natal, au-delà de la frontière dont ils seront refoulés à coups de fusils. L'autre instituteur monte plus haut dans la montagne et s'accroche à une bande de gamins qui gagnent leur vie - et risquent chaque jour de la perdre - grâce aux lourds ballots de marchandises qu'ils passent en contrebande.

Mais voilà. L'offre généreuse ne croise aucune demande: ni les vieux, ni les gamins - sauf un - ne cherchent leur salut dans le savoir. Un autre personnage semble s'y intéresser, splendide et monolithique au milieu de la foule des vieux hommes: une jeune veuve, Halaleh, flanquée d'un bambin, le seul être au monde pour lequel elle ne transige pas.

Ajoutez les balles de fusil, qui forment hors champ et au-delà des montagnes un mur combien plus infranchissable; faites voltiger le tableau noir et merveilleux qui change de nature presque à chaque séquence (tour à tour brancard, dot, attelle, porte de chambre à coucher nuptiale, étendage à linge): vous avez ce film étonnant et sublime, mais aussi frustrant: les personnes et les groupes en présence se croisent et se confrontent en restant presque totalement refermés sur eux-mêmes. La narration métaphorique est également cloisonnée et limitée au décor montagneux dans lequel évolue l'action.

Si le Prix du Jury au dernier Festival de Cannes est mérité pour toutes les qualités évoquées, LE TABLEAU NOIR laisse donc aussi un goût d'inachevé. Ressemble-t-il plutôt à la copie sans faute rendue avec un sourire narquois par une très brillante élève? Ou à un magnifique château dont l'effrontée jeune propriétaire s'amuserait à cacher les clés aux invités? Ou alors à un ample et riche manteau symbolique porté par un corps encore un peu trop frêle pour parvenir à l'habiter pleinement? La réponse nous sera sans doute soufflée dans le vent du prochain film.



Jacques Michel





Samira Makhmalbaf:

Fille du cinéaste iranien Mohsen Makhmalbaf, Samira est âgée de 20 ans. Elle suit entre 1994 et 1997 des cours de cinéma dans une école privée et réalise son premier long métrage LA POMME, primé au Festival de Cannes 1998 (Caméra d'Or).

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