Noce (La)

Affiche Noce (La)
Réalisé par Pavel Lounguine
Pays de production Géorgie
Année 1964
Durée
Genre Comédie dramatique
Acteurs Nana Kavtaradze, Gogi Kavtaradze, Baadour Tsouladze
Age légal 12 ans
Age suggéré 14 ans
N° cinéfeuilles 394

Critique

"LA NOCE, du cinéaste russe Pavel Lounguine, fut une excellente surprise. On craignait les débordements de TAXI BLUES ou LUNA PARK: il n'en fut rien. Le mariage de Michka et Tania, célébré dans un petit village minier, à 200 kilomètres de Moscou, donne à Lounguine l'occasion de parler de la Russie d'aujourd'hui, de la vie quotidienne, de la famille, de l'amour, de l'amitié. Que reste-t-il des anciennes valeurs? Les gens ont-ils changé? Les convives vont se livrer peu à peu et nous surprendre, dans leur médiocrité, leurs frustrations, mais aussi dans leurs élans de générosité, dans leur manière de faire face aux difficultés de l'existence, à l'injustice et à la corruption. Un spectacle de drames et de bonheurs entraîné par le rythme musical de la fête, des danses et des chants. Un portrait amer et critique du pays, mais en même temps la preuve irréfutable que la Russie et l'âme russe survivront à tous les désastres...



Coup de projecteur et regard critique sur la Russie d'aujourd'hui, le film peut surprendre. Venant d'un cinéaste dont le talent n'est plus à prouver, LA NOCE nous entraîne dans un tourbillon. Réussi.

Dans TAXI BLUES (1990), Pavel Lounguine situait son action dans le Moscou de Gorbatchev, à l'époque de la perestroïka. Son deuxième film, LUNA PARK (1992), dénonçait la montée du nationalisme et la naissance des gangs mafieux, avec quatre ou cinq ans d'avance. Avec LA LIGNE DE VIE, Lounguine achevait sa trilogie dans la Russie de Boris Eltsine en révélant, une fois de plus et implacablement (en 1996), la face cachée de la réalité de son pays.

Avec son dernier film, LA NOCE, le ton et les décors changent: la fête se déroule à Lipki, un petit bourg minier à 200 kilomètres de Moscou. A cet endroit le temps semble s'être arrêté: l'ère du socialisme est révolue et la vie nouvelle tant attendue n'a pas encore commencé. Ce jour-là Michka épouse Tania, l'amour de son enfance, qui revient de Moscou, pleine de mystères et après avoir tenté, sans succès, de devenir mannequin.

A Lipki, ce jour-là, il semble que les salaires vont enfin être versés aux mineurs. Le père de Michka compte sur sa pension pour payer la noce, mais s'inquiète de devoir nourrir des invités dont le nombre va se multipliant. Quant à la mariée elle ne fait pas l'unanimité dans la famille: le grand-père voit d'un mauvais oeil le retour de Tania et la mère de Michka pleure sur le sort de son fils. La noce commence tout de même, sans argent ou presque, sans marié peut-être, avec des invités (ou non) qui vont animer et perturber la fête.

A travers LA NOCE le réalisateur parle - on l'a deviné - de la Russie d'aujourd'hui, de la vie quotidienne, de la famille, de l'amour et de l'amitié. Que reste-t-il des anciennes valeurs? Les gens ont-ils changé? Peuvent-ils le faire? Il tente de répondre à ces questions par une fable descriptive, une noce qui est une galerie de personnages hauts en couleurs, débordant de vitalité, mais prompts aussi à se mettre en colère. Tandis que la vodka coule à flots, les invités vont peu à peu se livrer et nous surprendre dans leur médiocrité, leurs frustrations, mais aussi dans leurs élans de générosité, dans leur manière de faire face aux difficultés de l'existence, à l'injustice et à la corruption. Chacun se débat comme il peut et essaie de survivre dans un contexte où la mafia a déjà remplacé le KGB et où le miracle économique se fait attendre. Tout est bien chaotique: les anciens héros du travail et les communistes couverts de médailles croisent les nouveaux exploités et les nouveaux riches. Tous ces personnages s'affrontent tandis que Michka, nouveau Candide bousculé par l'Histoire et poursuivi par un ancien amant de Tania, essaie de trouver assez d'argent pour acheter un cadeau à la femme qu'il aime.

Pavel Lounguine a réussi à créer, même si le propos reste très critique, un monde où les sentiments peuvent s'exprimer, où la drôlerie l'emporte parfois sur le tragique, où l'innocence des deux héros parvient aussi à se frayer un petit chemin dans un monde de désillusion. Venu d'un cinéaste qui nous avait habitués parfois à des excès et des débordements, ce film est une excellente surprise, un spectacle de drames et de bonheurs entraîné par le rythme musical de la fête, des danses et des chants. Une histoire qui est comme soutenue par une force vitale, une énergie, un humour décapant et une très grande sensibilité. Une description amère et critique, un regard sans pitié certes, mais en même temps la preuve indéfectible que la Russie et l'âme russe survivront à tous les désastres...

Les comédiens (mélange de professionnels de la scène et d'habitants de Lipki interprétant leurs propres rôles) sont parfaits: ils ont d'ailleurs obtenu, à Cannes, un prix (collectif) spécial d'interprétation.





Pavel Lounguine



Né en 1949, fils d'un célèbre dramaturge, Pavel Lounguine fait des études de philosophie avant de devenir scénariste. TAXI BLUES marque ses débuts de réalisateur. Avec LUNA PARK (1992) et LA LIGNE DE VIE (1996), Lounguine poursuit son observation d'une société en crise, celle de la Russie de l'après-perestroïka. De LA NOCE, il a dit: ""En Russie un proverbe dit que 'sans un homme juste, un village ne peut exister'. C'est un peu la phrase clé de ce film, car tant que subsisteront en Russie la force et la bonté de gens comme Michka, de gens inaccessibles à la 'rouille' de la société, ce pays aura toujours des forces vives""."

Antoine Rochat