Evasion pour le paradis

Affiche Evasion pour le paradis
Réalisé par Nino Jacusso
Pays de production
Genre
Acteurs Jennifer Peedom
N° cinéfeuilles 441

Critique

"Nino Jacusso, cinéaste suisse d'origine italienne, s'est fait connaître il y a une vingtaine d'années par un premier film, CHUCHOTEMENTS EN CLASSE, qui témoignait d'un regard sensible porté sur l'école. On retrouve dans EVASION POUR LE PARADIS les mêmes qualités de maîtrise, d'authenticité, le même souci d'éviter tout ce qui pourrait être accrocheur, la même approche passant par l'intérieur des êtres.

Une famille kurde débarque dans la réalité helvétique: Sehmuz Karadag, sa femme Delâl et leurs trois enfants ont fui le Kurdistan et trouvé refuge en Suisse. Ils sont placés temporairement dans un centre pour requérants d'asile en compagnie d'autres réfugiés d'Afrique, d'ex-URSS et des Balkans. Craignant de ne pas pouvoir disposer d'un dossier assez solide pour obtenir l'asile politique dans notre pays, Sehmuz appelle à l'aide un compatriote établi en Suisse qui le met en contact avec un ""vendeur d'histoires"" auquel il va acheter, au prix fort, un scénario bien ficelé et susceptible d'emporter l'adhésion des autorités chargées de statuer sur son sort.

L'histoire s'inspire de faits réels et c'est ce qui en fait sa force. Ecrit en collaboration avec des personnes qui ont été directement concernées par la question du droit d'asile, le film dégage une très forte impression d'authenticité. Nino Jacusso applique d'ailleurs les règles du ""Real Acting"" en demandant aux acteurs qu'il a engagés de jouer devant la caméra une histoire très proche de celle qu'ils ont réellement vécue. Il en est ainsi du personnage central (et réel) de Sehmuz - Turc né en Anatolie en 1958, qui a travaillé dans la

clandestinité, a été arrêté, maltraité et torturé - qui est joué par un acteur, Düzgün Ayhan, qui a été lui-même contraint, après avoir pris les mêmes engagements politiques que Sehmuz, de fuir son pays natal (en 1994) et de se réfugier en Suisse (où il a obtenu l'asile politique). Il en est de même pour l'actrice Fidan Firat (rôle de Delâl) et de l'acteur Yildiz Nurrettin (Aziz).

Ainsi réalisé le film évite tout manichéisme, tout parti-pris idéologique et toute velléité de démonstration politique. Le cinéaste s'attache avant tout à ses personnages et les laisse exprimer, à travers une fiction toute proche de leur vécu, leurs sentiments. Un sujet sérieux donc, mais qui n'exclut pas quelques touches d'humour: on reconnaîtra en passant Walo Lüönd et Emil Steinberger, clins d'oeil au duo des FAISEURS DE SUISSES...

Le problème du droit d'asile, la description de l'accueil fait aux requérants (examens médicaux, interrogatoires, etc.), celle des différentes étapes de leur installation (provisoire ou définitive), tout cela est porté par une mise en scène discrète et efficace. On en apprend plus sur le droit d'asile - sujet très sensible aujourd'hui où l'on parle beaucoup de politique d'immigration) - que par les discours officiels. EVASION POUR LE PARADIS apporte un témoignage de l'intérieur et oblige chacun à jeter un regard autour de lui, sur son propre pays, et sur lui-même."

Antoine Rochat