Etre et avoir

Affiche Etre et avoir
Réalisé par Nicolas Philibert
Pays de production France
Année 2002
Durée
Musique Philippe Hersant
Genre Documentaire
Distributeur Les Films du Losange
Acteurs Axel
Age légal 7 ans
Age suggéré 14 ans
N° cinéfeuilles 438
Bande annonce (Allociné)

Critique

"Nicolas Philibert a promené sa caméra dans une classe d'une minuscule école primaire d'Auvergne. Dans les régions rurales françaises à faible population, certains instituteurs sont obligés de donner leur cours à des enfants de tous les niveaux du primaire. Ici, onze élèves se partagent un ""maître"" qui leur apprend à lire et à compter dans une grande chaleur humaine. Le réalisateur a surtout centré son film sur les rapports entre les enfants et leur professeur, qui semble être avant tout un confident et faire un travail de soutien psychologique. A force de nous montrer toute la tendresse de cet homme pour ""ses"" enfants, il occulte presque tout l'aspect éducatif, au point de donner l'impression d'un grand retard scolaire pour ses jeunes. Néanmoins, Philibert a pratiquement réussi à rendre sa caméra invisible aux yeux de cette classe un peu particulière. Au point qu'en y entrant sur la pointe des pieds, on assiste à des scènes incroyables de complicité, de bonheur, de rire, de petits chagrins (il y a aussi des problèmes plus profonds), le tout avec une grande humanité.

Ce n'est pas vraiment un film de cinéma, mais le regard est tellement sensible et rare, qu'on ne peut qu'être touché par ce long métrage un peu particulier. Le cinéaste n'explique rien, n'apporte aucun commentaire, laisse parler ses images qui mettent en lumière un métier important et souvent éclipsé. Une scène donne la parole au professeur lors d'une petite interview où il explique brièvement son parcours personnel. Scène qui ne se révèle pas nécessaire, mais qui insiste sur la dévotion presque totale de cet enseignant à un an de la retraite. Une race d'enseignants qui est menacée de disparition, car même si le film ne le dit pas, il semble improbable qu'une commune puisse continuer à financer une école pour une poignée d'élèves.

Une petite perle de bonheur!

Ivan Corbisier


La vie d'une classe à plusieurs degrés (de la maternelle au CM2, de 3 à 10 ans) dans un petit village du Puy-de-Dôme. Une description sensible et chaleureuse. Un petit miracle de cinéma.

Nicolas Philibert - LE PAYS DES SOURDS (1992), LA MOINDRE DES CHOSES (1996), QUI SAIT? (1998) - a suivi pendant six mois les enfants et l'instituteur d'une classe auvergnate: ""J'ai voulu raconter une histoire, faire naître des émotions, m'attacher aux personnages de cette aventure pour faire partager leurs épreuves, leurs bonheurs, leurs petits drames, toute cette gamme de sentiments que l'on éprouve le long du chemin escarpé par lequel on apprend à lire, écrire, compter... et surtout à grandir"".

Le réalisateur a situé le film dans une région un peu montagneuse, où le climat est rude et l'hiver difficile. Dès les premières séquences - deux paysans rentrent leur bétail sous une tempête de neige - le décor est posé. Et avec lui le style et le ton du film: le cinéaste saura se faire oublier.

La personnalité généreuse de l'instituteur, Georges Lopez (35 ans d'expérience!) séduit immédiatement. A chaque enfant il accorde une attention personnelle profonde, faite d'autorité naturelle et de délicatesse dans les gestes. Aucun cabotinage, aucune démagogie.

En face de lui, les enfants sont en confiance. Des visages tantôt drôles et rieurs, tantôt fermés et indéchiffrables. Tous manifestent le désir de bien faire. Des élèves qui, mis à part quelques rares regards jetés vers la caméra, semblent avoir complètement oublié la présence de l'équipe de tournage (quatre personnes). Et Nicolas Philibert a trouvé, jusque dans l'intimité de certaines scènes, la distance exacte et la pudeur nécessaire. Tout cela relève véritablement d'un petit miracle de discrétion cinématographique.

Il y a aussi les parents qui viennent parler avec l'instituteur. Les entretiens sont tout empreints de cette même volonté de respecter l'enfant, à qui Georges Lopez donne toujours une place prioritaire, l'intégrant dans son cadre général de vie, qu'il soit favorisé ou non par la nature ou l'existence. Et la caméra pénètre jusque dans les fermes, avec cette très belle scène - pleine d'humour - où toute une famille s'efforce d'aider Julien dans ses devoirs de calculs. L'occasion pour chacun de s'embrouiller dans les chiffres...

Le film dégage une grande force d'empathie. On suit le travail du maître et des enfants, à l'école ou à la maison, on partage leurs difficultés, leurs échecs ou leurs joies. Et le respect que le maître exige de la part de ses élèves vis-à-vis de lui-même (on doit lui donner du ""Monsieur""), il le manifeste en retour à l'égard de tous les enfants qui lui sont confiés. Il leur apprend ainsi les règles de la vie communautaire, de la tolérance, le sens des responsabilités et le pardon nécessaire.

ETRE ET AVOIR (un titre à prendre dans son double sens, scolaire et éthique) est un long métrage très ouvert où chacun peut projeter ses souvenirs d'enfance. Mais là ne s'arrête pas ce film étonnant, qui va bien au-delà de l'anecdote, abordant avec sensibilité des problèmes comme la violence ou comme l'impossible égalité des chances. Il ne s'agit pas d'un documentaire didactique ou d'un reportage qui céderait à l'insolite, au pittoresque ou à la nostalgie. Par leur structure narrative d'ailleurs, les films de Nicolas Philibert ne sont jamais très loin des films de fiction.

ETRE ET AVOIR ne remue pas les dernières innovations de la pédagogie moderne. L'instituteur du petit village auvergnat n'est pas impressionné par les idées à la mode sur l'éducation. Il se rappelle simplement le sens et le devoir premiers de son métier. Il sait qu'il est là pour éduquer une douzaine d'enfants, pour leur apprendre à lire, à compter, pour tenter de faire éclore leurs facultés naturelles et pour leur transmettre - le plus important peut-être - quelque chose de son expérience personnelle de la vie. Un film qui n'est pas sans rappeler QUAND NOUS ETIONS PETITS ENFANTS, le film (suisse) qu'Henry Brandt avait tourné, il y a une quarantaine d'années, dans une petite classe jurassienne des Tallières.

Antoine Rochat

Antoine Rochat