Homme sans passé (L')

Affiche Homme sans passé (L')
Réalisé par Aki Kaurismäki
Pays de production Allemagne, Finlande, France
Année 2001
Durée
Genre Drame, Comédie
Distributeur Pyramide Distribution
Acteurs Markku Peltola, Kati Outinen, Juhani Niemela, Kaija Pakarinen, Sakari Kuosmanen
N° cinéfeuilles 438
Bande annonce (Allociné)

Critique

"L'HOMME SANS PASSE est tout à la fois un drame épique et un conte philosophique, un constat social et un poème tout de sensibilité. Une éthique et un style qui font de Kaurismäki un grand cinéaste.

Un homme sans nom arrive dans une ville et se fait tabasser à mort à la première occasion. Devenu amnésique, il se trouve dans l'obligation de faire table rase de son passé et de tout rebâtir. Il est pris en charge par des laissés-pour-compte du quart monde, par des marginaux, par l'Armée du Salut, par d'autres personnes encore qu'il croise au hasard de sa route: ""Un rêve, dit le cinéaste, où des coeurs solitaires aux poches vides errent sous la voûte céleste de Notre-Seigneur... ou, devrais-je dire, sous la voûte céleste des oiseaux"".

Avec émotion et dans un esprit libérateur, Aki Kaurismäki nous présente une nouvelle fois (et toujours avec le même talent) des êtres au comportement et au langage légèrement décalés. Et le cinéaste finlandais continue de s'amuser à surprendre le spectateur en imaginant pour ses héros - on devrait dire ses anti-héros - des trajectoires et des solutions différentes de celles qu'on aurait pu imaginer en toute bonne logique ou en toute ""normalité"". D'où le plaisir renouvelé de la surprise, et celui aussi de vivre dans un univers très particulier, avec des personnages sympathiques, attachants et drôles.

La très grande qualité de ce film est de savoir dire des choses d'importance sans avoir l'air d'y toucher et sans pour autant occulter certains sujets sévères. L'HOMME SANS PASSE aborde la question du clivage entre la campagne et la ville, entre les classes favorisées de la société finlandaise et ceux qui se trouvent rejetés dans l'anonymat. Le regard que porte Kaurismäki sur ces hommes et ces femmes - un regard qui dépasse largement les frontières de son pays - est empreint d'un très grand respect, d'une forme de pudeur, d'humilité et d'humour à la fois. Et tout cela est dit avec des moyens cinématographiques qui paraissent très simples, mais qui sont en réalité extraordinairement concertés, dans un style épuré, avec des acteurs sachant s'exprimer dans un jeu retenu et intériorisé, impliquant un minimum de gestes théâtraux et de paroles. Un regard, un clin d'oeil suffisent. Une retenue qui, paradoxalement, entraîne une très grande émotion chez le spectateur.

Sans en avoir l'air, le film de Kaurismäki va très loin dans une réflexion, d'ordre éthique, sur la solidarité et la dignité humaine. On ajoutera bien sûr que L'HOMME SANS PASSE ressemble beaucoup à une fable, dans la mesure où le réalisateur a pris quelques libertés avec le réalisme et la gestion du ""possible""... Mais peu importe, on croit au miracle, on croit à ce qu'on appellera utopie ou mystère, on veut croire à cette sorte de résurrection imprévue (à la fin des toutes premières séquences) qui permet à l'homme tabassé de survivre et à nous de rester dans un film dont on ne veut plus sortir...

Une jeune femme, soldat de l'Armée du Salut, va peu à peu ramener l'homme amnésique du passé vers la réalité de la vie et lui redonner l'envie de la vivre. Apparaissent alors des images de la ville d'Helsinki, avec ses problèmes sociaux, ses chômeurs, ses émigrés, mais le pouvoir du cinéma veille et, sans artificialité, la magie opère encore une fois. Un film qui est un précieux cadeau...



Antoine Rochat





""Un homme sans nom arrive en ville et se fait tabasser à mort à la première occasion. C'est le début de ce grand drame épique: film ou devrais-je dire rêve, où des coeurs solitaires aux poches vides errent sous la voûte céleste de Notre-Seigneur... ou devrais-je dire, la voûte céleste des oiseaux."" C'est ainsi, avec son sens de la dérision que le Finlandais Aki Kaurismäki raconte son dernier long métrage.

De fait, lorsque M. (Markku Peltola) fait ses premiers pas dans la ville où il vient chercher du travail, il est aussitôt assommé, volé et laissé pour mort. Il s'en remet pourtant, mais est devenu amnésique. Recueilli par un couple de marginaux, il découvre la vie dans une banlieue dont les maisons sont des conteneurs. M. n'a plus de passé, plus de nom, pas d'autre solution que celle de se reconstruire en s'appuyant sur l'Armée du Salut toute proche. Il le fait. Car il possède une réelle propension à lutter contre les difficultés. Il trouve du travail, se défend contre les profiteurs, tombe amoureux d'Irma (Kati Outinen) qui lui répond.

Avec M., la vie dans la petite communauté s'éclaire. Il plante huit pommes de terre, sa récolte lui procure de quoi cuire une soupe et planter un nouveau carreau. Des fêtes sont organisées. Chacun y trouve son compte. Tout cela ravive l'esprit communautaire et la banlieue de conteneurs devient vivable. Aki Kaurismäki peint ce petit monde avec un chaleureux mélange d'humour, de dignité et de poésie. Après AU LOIN S'EN VONT LES NUAGES qui brossait le portrait d'un couple victime du chômage, L'HOMME SANS PASSE donne les clés pour affronter l'adversité. La critique sociale est caustique, les pauvres sont pauvres à cause des riches, les riches deviennent pauvres à leur tour. Au fond, chacun est vulnérable, mais le plus démuni se remet s'il a foi en lui-même.

Le génie de Kaurismäki est sa capacité de tourner un grand film avec les petits riens de l'existence, de faire jouer au soleil les noirceurs de la vie, d'amener à rire d'une difficulté grave et de lui donner ainsi à un format abordable. Cinéaste sans concession, il écrit pour créer, non pour s'enrichir. JUHA, son dernier long métrage, prenait tous les risques. Il en parle en riant de lui-même, c'est le ton de ses films.

""JUHA était en noir et blanc et muet, ce qui montre clairement que je suis un homme d'affaires. Cela dit, continuer dans cette voie signifierait que mon prochain film se ferait sans images. Que resterait-il alors? Une ombre. Donc, toujours prêt à faire des compromis, j'ai décidé de faire volte-face et de réaliser un film qui abonde en dialogues et en couleurs variés - sans parler des atouts commerciaux. Je dois avouer que, au plus profond de mon inconscient, j'ai peut-être aussi l'espoir que cette démarche me donne une apparence de normalité. Mon point de vue sur la situation sociale, économique et politique de la société, sur la morale et l'amour sera donné, je l'espère, par le film lui-même.""



Geneviève Praplan







Aki Kaurismäki



Né en 1957 à Helsinki, Aki Kaurismäki fait ses débuts comme critique de cinéma, puis travaille comme scénariste, acteur, assistant-réalisateur et producteur. Avec son frère Mika, il fonde sa propre maison de production et réalise une bonne douzaine de films (on peut citer LA FILLE AUX ALLUMETTES, AU LOIN S'ENVOLENT LES NUAGES, etc.)."

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