Réalisé par | Radu Jude |
Titre original | NU ASTEPTA PREA MULT DE LA SFÀRSITUL LUMII |
Pays de production | Roumanie, Luxembourg, France, Croatie |
Année | 2023 |
Durée | |
Musique | Jura Ferina, Pavao Miholjevic |
Genre | Comédie dramatique |
Distributeur | Xenix |
Acteurs | Nina Hoss, Katia Pascariu, Uwe Boll, Ilinca Manolache |
Age légal | 16 ans |
Age suggéré | 16 ans |
N° cinéfeuilles | 921 |
Avec N’attendez pas trop de la fin du monde, Radu Jude, honoré durant le mois de mai d’une rétrospective à la Cinémathèque suisse, sonde les contradictions de la Roumanie contemporaine dans un trip fiévreux et acerbe.
Un insert sur un téléphone. Une alarme. Dès la première scène, Radu Jude réveille Angela (Ilinca Manolache), sa protagoniste, et par la même occasion le spectateur. Il s’agit surtout d’un réveil de l’œil, car durant les 2 h 43 qui suivent, le cinéaste nous invitera à mieux voir. L’objet du regard: ces rues de Bucarest post-Covid considérablement transformées par les grands bouleversements économiques vécus par le pays depuis la chute de Ceau?escu en 1989. Le dispositif de la voiture conduite par Angela - cette dernière étant une assistante de production chargée de parcourir la ville pour le casting d’un petit film promotionnel sur la sécurité au travail - est parfait pour faire balayer devant nos yeux un paysage urbain délabré, pauvre et saturé d’affiches publicitaires.
Cependant, Radu Jude, et c’est là où réside sa force, ne s’en tient pas seulement à ce constat factuel, qui aurait fait tomber son œuvre dans une impasse politique. En cinéaste dialectique et analytique, il produit deux gestes formels passionnants qui mettent immédiatement à distance ce qu’il filme et donne du volume au métrage: d’abord, par l’utilisation du noir et blanc, il «déréalise» le réel capté et le fait entrer, sitôt qu’il est filmé, dans le régime de l’image historique ou archivistique. Ensuite, il met en parallèle ses plans avec ceux tirés du film Angela merge mai departe (Lucian Bratu) de 1981 - qui suit aussi un personnage nommé Angela en voiture - ce qui crée un jeu d’écart et de comparaison extrêmement fécond du point de vue de l’analyse politique: il replace ce que l’on perçoit de la Roumanie contemporaine dans une généalogie.
Ainsi le réel filmé par Jude n’est jamais du réel brut puisqu’il est mis en regard avec un autre régime d’images. La satire acerbe du néolibéralisme sauvage qui gangrène la Roumanie - on évoque la délocalisation des emplois permise par l’Union européenne, les mauvaises conditions de travail pour les ouvriers - est ainsi d’autant plus pertinente que le film donne les clés de compréhension de ce néolibéralisme en le situant dans la continuation dialectique de la fin du régime communiste et de la Révolution de 1989.
Ce montage, si intelligent, crée du sens. Mais il n’épuise pas encore totalement la beauté du long métrage. Il faut y rajouter un personnage relais puissant en la personne d’Angela, qui est de toutes les scènes et qui nous captive assez rapidement par son charisme et sa personnalité. Son regard, cynique sans être méchant, traduit parfaitement l’humeur un peu désabusée et drolatique de l’œuvre et rajoute une modalité encore différente à ce film décidément hybride et modulable, qui combine de manière assez virtuose plusieurs types d’images pour en faire un ensemble à la fois puissant politiquement et stimulant esthétiquement.
Tobias Sarrasin
Nom | Notes |
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Tobias Sarrasin | 16 |