Jill

Affiche Jill
Réalisé par Steven Michael Hayes
Titre original Jill
Pays de production Suisse
Année 2022
Durée
Musique Jonas Bühler
Genre Drame
Distributeur Frenetic Films
Acteurs Tom Pelphrey, Juliet Rylance, Dree Hemingway, Garrett Forster
Age légal 12 ans
Age suggéré 14 ans
N° cinéfeuilles 899

Critique

Porté par un montage ambitieux, le premier long-métrage de Steven Michael Hayes, cinéaste zurichois, déroule un récit fascinant sur la reconstruction d’une vérité enfouie. Mais plus que de raconter une histoire familiale, le film porte une réflexion stimulante sur l’utopie comme expression politique. 

Cadette d’une fratrie de cinq enfants, Jill reçoit une lettre de son frère aîné, Win, à travers de laquelle se déclenche un récit rétrospectif. Prise alors dans une lecture aux allures de voyage dans le passé, Jill perce peu à peu les mystères de son enfance. Mieux, sa remémoration lui permet de comprendre comment elle et ses frères sont passés d’un rêve idéaliste à un cauchemar idéologique.

Pour décrire le film, son programme discursif, il suffit de prendre littéralement la mesure de son ouverture : une voiture, cadrée de loin, depuis l’arrière, s’enfonce dans les bois. Une fois le véhicule hors-champ, le titre du film – Jill – surgit sur une image qui s’est floutée, lentement, jusqu’à l’abstraction totale. L’abstraction, ici, c’est deux choses : à la fois, elle évoque l’accès difficile de Jill à ses souvenirs d’enfance, mais, surtout, elle matérialise la mise en place d’une utopie familiale : se soustraire de la société collective, l’abstraire, afin de s’installer dans les forêts d’Amérique du Nord.

Le début du film, dès lors, dispose les signes de cet idéal : on éteint la télévision, dernière prise avec le dehors, afin de coucher, tendrement, pendant que les enfants, filmés en montage alterné, s’épanouissent dans la nature. Or le paradis est mirage : si le tableau prend l’apparence de l’idylle, ce n’est que pour mieux dissimuler la mort, tapie dans l’ombre, à la place où on l’attend, qui est celle du Père. D’apparence aimante, Ted, au gré des dissonances, révèle son vrai visage : figure reaganienne, dont l’autorité liberticide est tout entière tendue vers la mort, cette mort que l’on inflige à celui qui forcerait son entrée au Paradis.

Mais si personne n’est autorisé à y rentrer, l’inverse l’est aussi – et, dans une certaine mesure, l’est d’autant plus : l’utopie est sans extérieur, c’est un huis clos, une prison, dont on ne peut sortir qu’au prix de l’impossible. Pour certains, Joanne, la mère, et Colt, ce frère qui rêve d’université, ce sera l’exil ; pour les autres, ce sera l’enlisement jusqu’à l’inexorable : recourir au parricide pour reconquérir un semblant de liberté. Au travers d’un dénouement qui évoque ainsi la tragédie, le film conscientise son héritage philosophique : si l’utopie n’est pas souhaitable, c’est qu’elle ressemble étrangement à sa sœur siamoise, la dystopie, avec qui elle partage le même destin funeste.

Kevin Pereira

Appréciations

Nom Notes
Kevin Pereira 15