Réalisé par | Ari Aster |
Titre original | Beau Is Afraid |
Pays de production | USA |
Année | 2023 |
Durée | |
Musique | Bobby Krlic |
Genre | Horreur, Epouvante |
Distributeur | Elite |
Acteurs | Joaquin Phoenix, Nathan Lane, Amy Ryan |
Age légal | 16 ans |
Age suggéré | 18 ans |
N° cinéfeuilles | 899 |
Certains feront le choix, à n’en point douter, de surligner la manière dont Aster, déraisonnablement, embrasse son caractère démiurgique comme un gamin s’amusant avec ses poupées russes. De notre côté, nous pensons que son cinéma s’épanouit mieux que jamais dans le refus radical de catharsis : Beau is Afraid est une chute sans salut.
Il faut le dire d’emblée, Beau is Afraid est un film étourdissant qui a valeur de raréfaction : d’une grande singularité, l’expérience qu’il nous propose fait naître le trouble du débordement. Chaque scène, non, chaque plan met en mouvement la circulation infinie du sens, quitte à donner le vertige à ceux qui sont habitués aux récits limpides. C’est qu’il n’y a dans le film, disons-le franchement, aucun ancrage fixe où viendraient se déposer des certitudes, mais plutôt un mélange continu des cartes, coup de dés sur coup de dés, qui ne donne jamais lieu à autre chose qu’à la contradiction ou au désordre, à l’image de cette scène d’ouverture où la mise au monde apparaît plutôt comme une mise à mort.
Avec Beau is Afraid, Ari Aster échange l’approche frontalement horrifique qui opérait dans son cinéma pour une voie plus viscérale, arrimée à la paranoïa de son personnage. La grande astuce pour matérialiser le délire de Beau, qui participe du pouvoir de séduction du film, c’est de le faire pécher par excès d’imagination : chacune des situations qu’il éprouve procède d’une structure œdipienne sans cesse repoussée dans l’imaginaire. D’où la motivation qui lance le périple du personnage : initier un voyage pour retrouver la Mère. Mais la particularité d’Aster est de pousser très loin cette infantilisation en ne laissant pas d’autre choix à Beau que de vivre en Bâtard (la culpabilité qui le dévore après qu’il a annulé son voyage pour la rejoindre) ou en Enfant adopté (après l’embrouille avec la Mère, il est recueilli par une famille bourgeoise qui en fait un substitut symbolique de leur enfant disparu). Plus retors encore, le film rapproche Beau de l’Enfant martyr en lui déniant toute possibilité de délivrance ou de rédemption : d’un côté, ce n’est pas lui qui tue cette mère surprotectrice et castratrice, castratrice car surprotectrice (comme l’illustre la séquence de flash-back focalisée sur l’adolescence juvénile de Beau) ; de l’autre, le récit rejette même l’idée qu’il puisse assister à son enterrement, dernière chance d’enfouir le trauma, sinon de l’accepter, sous l’épaisseur d’un réel terreux (d’où le fait que la Mère ressuscite, retour incessant du refoulé qui creuse toujours davantage les failles originelles).
Ce qu’il faut dire, aussi, c’est que Beau is Afraid reconduit les principes avec lesquels Ari Aster travaille la question de l’espace dans son cinéma : toujours, il délimite un périmètre à disséquer (l’imbrication des maisons les unes dans les autres dans Hérédité, le milieu de la communauté suédoise dans Midsommar). Or ce travail subit ici une légère distorsion : il nous fait entrer dans un lieu unique, et certainement plus grave d’ailleurs, fondé sur une double logique de différence (les angoisses) et de répétition (les traumas) : le cerveau psychotique de Beau. Ainsi, la diversité des lieux – le centre-ville, la banlieue cossue, la forêt mystique, la maison familiale – traduit le morcellement d’une conscience tourmentée et labyrinthique (l’insécurité, la virilité, la vieillesse ou la mort). Tandis que ses traumas, eux, reviennent inlassablement à l’identique : c’est cette statuette, symbole sacré de premier ordre, que l’on achète car elle pointe vers la Mère ; ou encore, le souvenir d’Elaine – premier amour juvénile duquel il est brutalement séparé – dont l’actualisation fantasmatique ne peut conduire qu’à la pétrification ; enfin, le regard pourrait encore se porter sur cette barque qui se renverse aux lisières de l’œuvre, moments d’ouverture et de clôture, signifiant littéralement l’impossibilité pour la conscience de tenir en équilibre, ultime échec d’une modernité qui n’arrive plus à se ressaisir comme totalité ordonnée.
Kevin Pereira
Nom | Notes |
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Kevin Pereira | 18 |
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