Réalisé par | Jenna Hasse |
Titre original | L’amour du monde |
Pays de production | Suisse |
Année | 2022 |
Durée | |
Musique | Cédric Blaser |
Genre | Drame |
Distributeur | Vinca |
Acteurs | Filipe Vargas, Clarisse Moussa, Esin Demircan, Marc Oosterhoff |
Age légal | 8 ans |
Age suggéré | 12 ans |
N° cinéfeuilles | 898 |
Présenté au sein de la sélection Génération lors du dernier festival de Berlin, le premier long-métrage de Jenna Hasse, cinéaste luso-suisse, dégage une impression de calme étonnante.
D’emblée, il est primordial de partir de l’évidence même : L’amour du monde est une œuvre qui sort en salles sur un mode singulier, puisque son premier court-métrage En Août (2014, 9’) est diffusé en avant-programme. Ce dispositif, qui n’est pas sans accuser une certaine artificialité, possède néanmoins le mérite d’ouvrir le film vers une ampleur dramaturgique vertigineuse où fusionnent fiction et réalité. En effet, les deux réalisations racontent la trajectoire d’un seul et même personnage, Margaux 6 ans, que l’on découvre dans le court, avant de la retrouver dans le long, à l’orée de son quinzième printemps. Le corps fictif du personnage change donc forcément ; mais le corps qui incarne Margaux reste le même : celui de l'actrice Clarisse Moussa, qui a été filmée, elle aussi, à deux âges distincts. La vie du corps de Margaux est donc inséparable de la vie de celui de Clarisse Moussa. Un procédé intéressant qui permet de prendre la mesure du passage du temps à partir de la matérialité du corps. Mieux, le saut de l’une à l’autre souligne la constance de la personnalité au travers des changements : malgré ses 14 ans, Margaux demeure cette petite fille en proie à une solitude que la musique s’efforce de sublimer (on pense ici à l’utilisation du titre « Dança da Solidão » de Beth Carvalho).
Si l’argument principal du film de Hasse consiste à sonder la solitude de Margaux, résultat d’un père absent malgré sa présence, l’essentiel, lui, tend implicitement vers cette question qui hante tout un pan du cinéma moderne : comment habiter le monde ? Comment lui insuffler du sens ? Pour Margaux, c’est d’abord par le rêve d’un grand voyage. Son rapport au réel fonctionne alors par l’accumulation de signes – sa rencontre avec Joël, ce pécheur vivant en Indonésie ; le Mexique représenté sur son t-shirt ; les écrans, de cinéma et de télévision, qui nourrissent son imaginaire – qui culminent lors d’une séquence de conversation téléphonique. Alors que Margaux, en portugais – langue qu’elle parle difficilement à cause de son père nonchalant –, évoque ses envies de voyage à sa grand-maman lusophone, la caméra matérialise ses envies d’évasion en invoquant le tableau Les Jungles d’Henri Rousseau. Perçu dès lors dans sa dimension symbolique, le voyage est appréhendé par Margaux comme une échappatoire du cadre familial dans lequel elle peine à trouver sa place.
Aussi, dans L’amour du monde, la solitude de Margaux se conjure dans la mise en perspective des expériences vécues. D’abord avec celle de Juliette, une enfant de sept ans, délaissée par un père instable, que Margaux rencontre pendant son stage dans un foyer. Puis, c’est celle avec Joël, ce pêcheur trentenaire, contraint de rentrer en Suisse à la suite du décès de sa mère. Réunis tous trois autour du même dénominateur, les personnages démontrent au rythme d’un récit sobrement écrit leurs velléités à réinventer une liberté qui se joue de toute forme d’autorité. Par la découverte chez l’autre de ce qui se joue à l’intérieur de soi, Joël, Margaux et Juliette ouvrent grandes les portes de leur intériorité pour laisser entrer un peu d’eux-mêmes.
Kevin Pereira
Nom | Notes |
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Kevin Pereira | 15 |