Ernest et Célestine : le voyage en Charabie

Affiche Ernest et Célestine : le voyage en Charabie
Réalisé par Julien Chheng, Jean-Christophe Roger (II)
Titre original Ernest et Célestine : le voyage en Charabie
Pays de production France
Année 2022
Durée
Musique Vincent Courtois
Genre Animation, Famille
Distributeur Frenetic
Acteurs Lambert Wilson, Céline Ronte, Pauline Brunner, Michel Lerousseau, Lévanah Solomon, Jean-Marc Pannetier
Age légal 6 ans
Age suggéré 6 ans
N° cinéfeuilles 891

Critique

Dix ans après la première adaptation sur grand écran des aventures de l’ours et de la souris créés par Gabrielle Vincent, Ernest et Célestine reviennent dans une histoire au diapason de l’actualité politique, sans oublier d’offrir des moments d’intelligence intemporels grâce à des personnages élevés au rang de figures tragiques.


Malheur ! Célestine casse par maladresse le violon d’Ernest, son irremplaçable Stradivariours. La seule solution est d’aller le faire réparer dans le pays natal d’Ernest, la Charabie. Mais une fois arrivés, ils se rendent compte que quelque chose cloche, ce pays pourtant si musical est bien silencieux. Ils découvriront vite la raison à cela : la musique a été interdite et la seule note autorisée désormais est le « do ». Le duo décide de mener l’enquête.

Sous ses airs enfantins et joviaux, le film fait (malheureusement ?) peu d’effort pour dissimuler son sous-texte politique : la Charabie est pays aux teintes et au parler fortement slaves, où il ne fait pas bon aller contre la pensée dominante, au risque de finir en prison. Cette interdiction envers la musique ne concerne en effet pas seulement les instruments, il faut que ce soient les idées également que le gouvernement accorde au même ton. Toutefois, ce qui commence comme un énième pamphlet contre le totalitarisme se transforme rapidement en conte sur la difficulté d’être une famille.

C’est que les lois autoritaires en vigueur dans le pays sont la décision du juge Naboukov – dans ce pays il n’a pas de président, mais des juges – qui n’est nul autre que le père d’Ernest, né Ernestov. Contrarié par le refus de son fils de suivre la même carrière que la sienne afin de devenir musicien, le magistrat s’est vengé sur la musique elle-même. Naboukov était pourtant mélomane et interprète doué, et c’est lui qui avait transmis à Ernest cet amour des notes. Mais voilà, il fallait qu’il rende la musique laide, monotone, inapte à susciter l’émotion, car ce dont Naboukov a le plus hautement peur c’est la nostalgie d’un futur qui n’a jamais pu advenir.

Ainsi, la tristesse d’un seul homme a transformé à elle seule une nation entière. Mais, et c’est là tout le tragique du personnage, celui-là même qui a édicté la « Loi Ernestov », absurde et cruelle, est le premier à en souffrir. À l’image de Médée qui tue ses fils pour se venger de Jason qui l’a abandonnée, le « roi » Naboukov est un père désespéré qui doit annihiler ce que représente Ernest pour lui afin d’acter une vengeance dont l’efficacité se confine au pur symbolique. Tout mélomane qu’il soit, Naboukov est un aveugle : face au désir d’indépendance de son fils, face aux mécanismes de sa tristesse, mais aveugle aussi quand il omet de voir que Mila, sa fille et sœur d’Ernest, a rejoint les rangs de la Résistance. Le nœud du drame qui se déroule en Charabie tient donc dans la dissonance entre les aspirations des nouvelles générations et les attentes des parents.

Des sujets donc plutôt graves pour un film dit « pour la jeunesse ». Et c’est là toute l’intelligence du scénario, à savoir, de ne pas prendre « la jeunesse » pour des idiots et d’oser lui proposer des histoires complexes et tristes, à une époque où trop de films de ce genre semblent soumis à une Loi Ernestov. Mais rassurez-vous, le film se termine bien, et ressemble davantage à une comédie de Plaute qu’à une tragédie de Sophocle.

Anthony Bekirov

Appréciations

Nom Notes
Anthony Bekirov 14