Le Torrent

Le 6e film d’Anne Le Ny s’inspire librement d’une affaire survenue en France en 2000 dans laquelle un homme avait été soupçonné d’avoir tué sa femme. Ou alors s’agissait-il d’une mort accidentelle? Une affaire qui s’était révélée assez complexe et dans laquelle les relations familiales - impliquant souvent la sensibilité et l’intimité de chacun - n’avaient pas simplifié le déroulement de l’enquête. Au spectateur de la suivre, de débrouiller des situations compliquées et de se confronter à des personnages souvent ambivalents.

Sitôt après une violente dispute Juliette (Ophelia Kolb) quitte son mari Alexandre (José Garcia). Le lendemain, on retrouve le corps de l’épouse dans un ravin. Alexandre déclare à la police que sa femme a fait une chute accidentelle, les policiers enquêtent (la réalisatrice Anne Le Ny endosse intelligemment le rôle de la commissaire Da Silva qui mène les opérations de recherche), mais on ne trouve guère d’indices déterminants. Alexandre choisit par moments de mentir (le spectateur, lui, a vu de loin ce qui s’est passé). Suspecté, il pourra compter sur le soutien opiniâtre de sa fille aînée Lison (Capucine Valmary) qui, elle aussi, sera amenée à faire des entorses à la vérité pour tenter d’innocenter son père. Empathie, méfiance, fidélité, trahison, l’intrigue est pleine de rebondissements et les personnages s’empêtrent parfois dans des raisonnements confus. Les prises de position se multiplient, le film devient tortueux: chacun détient une part de la vérité, mais chacun a aussi tendance à la masquer en fonction de ses intérêts personnels et cachés.

Sur le plan formel, le film d’Anne Le Ny est bien conçu: les séquences sont assez courtes et un certain rythme maintient l’attention, si l’on excepte certains passages où le tempo du récit s’emballe et dérègle un peu l’édifice. Si les dialogues ne sont pas toujours d’un intérêt évident, actrices et acteurs fournissent une excellente prestation: José Garcia (qui est avant tout un acteur de comédie) assume parfaitement ici le rôle d’un homme mal dans sa peau, tiraillé, sensible et bousculé de toutes parts. Et André Dussollier, dans le rôle du père d’Alexandre, fait preuve d’une retenue et d’une finesse de jeu remarquables. Côté décors tout est bien choisi: le récit se situe dans des régions très accidentées des Vosges avec des ravins, des torrents, un ciel lourd, des saisons différentes (l’histoire traverse l’hiver, avec de grosses averses). On signalera aussi la qualité de la musique qui souligne intelligemment et discrètement ce que le spectateur peut ressentir.

À relever peut-être que, dans ce thriller familial, tout n’est pas toujours d’un intérêt évident, que l’on se perd parfois en conjectures et que l’on doit accepter une certaine absence de clarté dans le dénouement final, au terme d’une histoire assez triste. Anne Le Ny, c’est vrai, n’a pas cherché, au-delà d’un récit qui se veut original, à véritablement déclencher chez le spectateur ce qu’on peut appeler un vrai plaisir cinématographique…