Inu-Oh

Affiche Inu-Oh
Réalisé par Masaaki Yuasa
Titre original Inu-Oh
Pays de production Japon, Chine
Année 2022
Durée
Musique Yoshihide Otomo
Genre Animation, Musical, Fantastique
Distributeur Star Invest Films France
Acteurs Yutaka Matsushige, Mirai Moriyama, Avu-chan, Tasuku Emoto, Kenjiro Tsuda
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 889

Critique

Vu au Geneva International Film Festival (GIFF) cette année, le dernier long métrage d’animation de Masaaki Yuasa marque un prodigieux retour pour le cinéaste. Assurément une des meilleures choses vues cette année, mais condamnée à rester cloîtrée dans le circuit des festivals, malheureusement.

Au 14e siècle, les derniers survivants du clan Taira cherchent une épée légendaire censée pouvoir restaurer leur pouvoir et renverser leurs rivaux les Minamoto. Ils font appel à un pêcheur et son fils Tomona pour localiser l’arme au fond des eaux de la baie de Dan-no-ura où eut lieu jadis la bataille décisive du même nom. Ils la trouvent, certes, mais cette épée est maudite: elle tue le plongeur et crève les yeux de Tomona. Ce dernier, désormais orphelin, décide de rejoindre une troupe de joueurs aveugles de biwa (sorte de sitar japonaise) dans la capitale de Kyoto. Dans cette même capitale, un maître de sarugaku (ancêtre du Noh) fait un pacte avec un masque de démon pour atteindre la perfection de son art et jouer devant le prétendant shogun Yoshimitsu. Mais le masque le maudit: l’enfant du maître naît difforme, monstrueux. Il est chassé et vit parmi les chiens, d’où le sobriquet qu’il adoptera, Inu-Oh, «le roi des clébards». Toutefois, Inu-Oh a un don exceptionnel pour la danse et le chant. Quand il tombe sur Tomona, qui a un don pour le biwa, les deux décident de former un duo rock qui brisera toutes les conventions artistiques d’alors. Mais Yoshimitsu voit cela d’un mauvais œil et fomente un plan pour se débarrasser des prodigieux troublions.

En parlant de prodige, Masaaki Yuasa en est un. Connu pour son premier long métrage culte déjanté Mind Game (2004), il n’a eu de cesse de se réinventer au fil des années, qui par ses séries d’animation telles que Kaiba (2008), The Tatami Galaxy (2010) ou Ping Pong (2014), qui par ses films comme Night Is Short, Walk On Girl (2017), Lu Over The Wall (2017) et Ride Your Wave (2019). Yuasa est un artiste protéiforme qui expérimente constamment avec son médium, et virevolte entre les styles et les formes narratives. Pour ces raisons peut-être, il est à la fois vénéré parmi les connaisseurs comme ce qui se fait de plus intéressant en animation japonaise, mais aussi ignoré des distributeurs, des producteurs et donc du grand public. Il a ainsi souvent recours au financement participatif comme la plateforme Kickstarter pour mener à bien ses projets. Comment ne pas voir alors un angle autobiographique dans Inu-Oh…

Le cinquième long métrage de Yuasa est en même temps son plus abouti et son plus mélancolique. On y retrouve son goût pour les environnements aquatiques et les baleines, présents déjà dès Mind Game, et pour la superposition anarchique des temporalités et des espaces. Le ton est résolument comique - toutes ses œuvres le sont à certain degré - puisqu’il s’agit tout de même d’un opéra rock dans le Japon féodal, mais à l’image de l’art du sarugaku, littéralement «musique de singe» donc singeries, on ne fait pas rire gratuitement. Il y est question d’une histoire mixte: celle d’un art, le Noh; et celle d’une identité, le Japon. Et comment l’expression artistique peut être le catalyseur de transformations sociétales et individuelles fulgurantes, quitte à mettre les créateurs dans un porte-à-faux tragique avec l’ordre ambiant.

Qui plus est, les séquences d’ouverture et de clôture sont là pour nous rappeler qu’Inu-Oh parle avant tout du Japon contemporain. En cela, il rejoint une tradition du cinéma classique nippon, à l’image des Mizoguchi et autres Kurosawa qui durant les années 1940 tournaient principalement des films d’époque afin que leurs critiques sociales ne soient repérées des censeurs obsédés par l’unité nationale. Qu’en 2022 Yuasa ait recours à un tel procédé nous dit long sur la nature de la société japonaise - mais aussi de l’industrie cinématographique.

Anthony Bekirov

Appréciations

Nom Notes
Anthony Bekirov 16