Cascadeuses

Affiche Cascadeuses
Réalisé par Elena Avdija
Titre original Cascadeuses
Pays de production Suisse, France
Année 2022
Durée
Genre Documentaire
Distributeur Bande à part
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 889

Critique

Tabassées, violentées, accidentées ou encore jetées du haut d’un immeuble, tel est le quotidien choisi par Virginie, Petra et Estelle, cascadeuses de profession. Loin des strass et paillettes, Cascadeuses, premier long métrage documentaire de la Lausannoise Elena Avdija, dépeint les portraits de ces vies dopées à la violence qu’on maltraite sans vergogne. Entre réalité sociale et fiction, ce film pose la question de la femme en tant que genre et de sa représentation à l’image.

Discipline méconnue du cinéma où la cascadeuse n’est jamais reconnaissable, mais où la performance est époustouflante, ce documentaire suit avec beaucoup d’humilité le parcours de trois femmes évoluant telles des poupées qu’on malmène sous la lumière, le temps d’une prise ou d’une scène. Comme dans beaucoup de disciplines requérant de la force physique et mentale, le métier de cascadeur était exclusivement masculin: des hommes doublaient historiquement les actrices sur des scènes compliquées. Époque définitivement révolue, c’est avec passion que les cascadeuses assument à présent ce rôle ingrat, épuisant, mettant chaque jour leur physique et leur esprit à l’épreuve.

Sans jamais s’immiscer dans le dialogue, la caméra suit sur les plateaux et dans leurs intimités Virginie, «La» Cascadeuse française ayant plus de vingt ans de carrière, Petra, Suissesse expatriée à Los Angeles essayant de se reconvertir dans la comédie et Estelle, ingénieur agronome de formation commençant sa formation dans une école de cascadeurs professionnels.

La structure de ce film demeure simple, les histoires s’enchâssent au gré de leurs quotidiens où chacune se livre peu à peu sur la réalité du métier, leurs espérances surtout sur les épreuves psychologiques influençant grandement leurs performances; le temps façonnant leurs corps blessés à répétition, mais rallumant la flamme de l’adrénaline pose certaines conditions: peuvent-elles encore jouer une chute du 4e étage sans se blesser, peuvent-elles performer une scène de viol, de violence conjugale alors qu’elles ont subi ces mêmes agressions dans leurs intimités?

Une double narration s’installe le long du documentaire, une réalité sociale où ces femmes repoussent les limites du physiquement possible au service du divertissement et celle de la représentation de la violence à l’écran. Sous l’égide du Hays Code promouvant l’autocensure concernant les productions audiovisuelles entre 1934 et 1968 aux États-Unis, toutes violences graphiques implicites ou explicites incluant le viol, la nudité ou profanité étaient catégoriquement interdites à l’écran. Scrupuleusement respecté pendant cette période par les productions américaines, le Hays Code a profondément modifié la perception de la morale à l’image: suite à son abrogation, l’industrie s’est considérablement décomplexée. La violence par son caractère moralement interdit est devenue un sujet de fascination notamment dans le cinéma d’action et de drame produisant des scènes de plus en plus réalistes et spectaculaires, de surcroît entraînant une croissante appétence auprès de l’audience. En soixante ans, le corps au cinéma s’est donc libéré dans toutes ses formes et a fortiori, celui du féminin qu’on célèbre puis qu’on moleste, banalement.

C’est avec justesse qu’Elena Avdija porte à l’écran une problématique contemporaine endossée par ces cascadeuses n’ayant pas froid aux yeux: celle du corps de la femme encore trop souvent considéré comme un objet.

Emilie Fradella

Emilie Fradella

Appréciations

Nom Notes
Emilie Fradella 16