Nos utopies communautaires

Mai 68 résonne encore : les combats écologistes, et féministes notamment prennent leurs racines dans cette période. Il est nécessaire de s’en rendre compte, ne serait-ce que par humilité. Si les soixante-huitards ont désormais atteint l’âge de la retraite, on en retrouve quelques-uns, en Suisse, au sein de coopératives intergénérationnelles. Avec ce nouveau documentaire, le réalisateur suisse Pierre-Yves Borgeaud interroge ces modes de vie alternatifs hérités de cette période de révolution sociale, entre idéaux et réalités.

Par définition, l’utopie est un idéal politique ou social qui ne tient pas compte de la réalité. Nous pourrions y ajouter qu’il s’agit souvent d’un projet irréalisable. Et pourtant. Puisant dans l’énergie folle de Mai 68, où tout semblait possible, des nouvelles formes et définition du « vivre ensemble » ont émergé. C’était les années d’expérimentations, de la libération des corps et de la pensée. La notion de collectivité a été secouée ; d’individuels, les logements sont devenus communautaires et la sexualité s’est émancipée. Le partage se déclinait sous toutes ses formes. Tout fut remanié et repensé, avec l’espoir de changements sociétaux radicaux. « Nos utopies communautaires » explore l’après : plus de cinquante ans plus tard, que sont devenus ces utopistes et leur tentative de vivre différemment ? Le cinéaste vaudois suit trois trajectoires de vie emblématique, qui explore chacune une vie communautaire. À Zurich, nous retrouvons Hans Widmer, alias « P.M. », auteur de « Bolo’bolo », fameux essai d’écologie politique, et qui dessine aujourd’hui encore des villes idéales. Puis, dans les vignes de la région de Lavaux, nous suivons l’emménagement du couple Pouly dans une habitation collective. Et enfin, l’expérience de Maya Schwan-Irniger, née à Saint-Gall, qui a vécu la liberté sexuelle jusqu’à la maternité et qui intègre aujourd’hui une nouvelle résidence communautaire destinée aux aînés.

Loin de célébrer avec complaisance la félicité et les biens-faits de la collectivité, « Nos utopies communautaires » pointe aussi leurs blocages, mais aussi leurs dérives, parfois graves ou plus ordinaires, qui trouvent toutes leur source dans l’autoritarisme. Les questions abordées dans ce documentaire sont passionnantes et soulèvent des enjeux d’actualité face aux ressources limitées de la planète. Mais l’abondance des personnages et des trames secondaires, ainsi que la densité des problématiques présentées, finissent par saturer l’attention. On aurait préféré voir la proposition se décliner sur plusieurs épisodes, tant la matière est foisonnante et intéressante.