De noche los gatos son pardos

Affiche De noche los gatos son pardos
Réalisé par Valentin Merz
Titre original De noche los gatos son pardos
Pays de production Suisse
Année 2022
Durée
Genre Drame
Distributeur Vinca films
Acteurs Adrian Merz, Alain Labrune, Andoni De la Cruz
Age légal 14 ans
Age suggéré 14 ans
N° cinéfeuilles 887

Critique

Premier long métrage du cinéaste suisse Valentin Merz, De noche los gatos son pardos (« la nuit tous les chats sont gris ») a reçu la mention spéciale du Swatch First Feature Award au Festival de Locarno 2022. Honneur mérité, pour ce film qui oscille élégamment entre comédie absurde, libertinage désinhibé, et drame amoureux.


Un réalisateur, Valentin (Valentin Merz) tourne un film libertin en costumes d’époque à la campagne. Un jour, ce dernier disparaît et une enquête est lancée, menée par des policiers et détectives tous plus incompétents les uns que les autres (dont le merveilleusement kitsch « Inspecteur », interprété par Jean-Charles de Quillacq). Pendant ce temps, le tournage se poursuit non sans anicroche : une des actrices semble se transformer en zombie et devient cannibale ; le corps de Valentin est dérobé ; le chef opérateur et amant du réalisateur Robin (Robin Mognetti) quitte le tournage en douce et rejoint le Mexique pour honorer une promesse.

Autant dire que c’est un programme chargé qui attend le spectateur. Et pourtant, Merz parvient à naviguer entre les différents genres qu’il invoque avec une grande aisance, sans que jamais les scènes les plus burlesques – qui rappellent l’humour surréaliste du P’tit Quinquin de Bruno Dumont – ne phagocytent les moments plus poétiques. Ainsi cette forêt, trope essentiel à l’univers libertin du 18e siècle, est un lieu magique où les corps disparaissent et se métamorphosent, parfois très crûment, très sensuellement – ce film contient beaucoup de fluides corporels. On voit ici la cinéphilie cinéphage de Valentin Merz qui fait des références explicites à Tropical Malady d’Apichatpong Weerasethakul, absolu classique du récit d’amour en forêt, ou La libertad de l’Espagnol Albert Serra, qui avait voulu revenir aux racines historiques et littéraires du libertinage, au grand dam des plus prudes. La liste des œuvres cinématographiques auxquelles le film renvoie serait trop longue et fastidieuse à énumérer. Au point que De noche… devienne par moments impersonnel car simplement parodique.

Néanmoins, Valentin Merz signe une magnifique lettre d’amour au cinéma, et il n’y a sans doute pas de meilleur pour rendre hommage aux œuvres qui nous ont construites que dans sa première réalisation. Dans une scène édifiante vers la fin du film, lors de la projection test du film-dans-le-film, les acteurs assistent à une scène, évidemment fictive, où Valentin est strangulé par une femme. Une des actrices dans l’assistance bondit alors, hurle à l’homicide, et demande aux enquêteurs d’arrêter cette femme. Et l’inspecteur, confus, de se fendre d’un « elle sait que c’est du cinéma, non ? ». Aussi étrange et comique soit-elle, cette scène parvient à rendre compte de la puissance des images cinématographiques à remplacer la vision, non, à devenir davantage que des images: de nouveaux organes, de nouvelles idées.


Un autre avis : Philippe Thonney

Quel dommage. Nous aimerions tant soutenir le cinéma suisse et vous donner envie d'aller au Zinéma, une salle qui mérite d'être soutenue. Malheureusement, ce ne sera pas à l'occasion de ce film tordu mais dans le mauvais sens du terme, gratuitement provocateur mais sans aucun fond, et bien trop long. Et nous aimerions soutenir du cinéma d'Art et Essai. Ici c'est un essai, mais sûrement pas de l'art. Sauf, peut-être, pour la recherche esthétique de certains plans.


Dans une forêt française, filmée au ralenti, une étrange bande de gens, plus ou moins dévêtus. Des vestales versent des cruches de lait. Deux garçons s'étreignent sous une cascade, ou une femme s'y ébroue. On hurle, on s'embrasse langoureusement, on se roule par terre, on joue avec un lapin. Au bout de plusieurs minutes, le spectateur sent déjà l'envie de récupérer sa veste et de mettre les voiles. Mais bon, on reste. Jusqu'à ce que l’on comprenne que dans cette clairière se déroule le tournage d'un film moitié porno moitié underground, et que ces personnages sont les acteurs. Les prises de vues vont ensuite s'interrompre, car le réalisateur disparaît sans laisser de trace. Tout va ensuite partir en vrille. Mais l'énigme de la disparition est sans intérêt, le "propos" est ailleurs.


Il est naturel pour un scénariste et un cinéaste, comme pour un peintre ou un écrivain, qu'il se serve de ce qu'il a en lui pour créer son oeuvre. Le Suisse Valentin Merz a l'air bien branché sur la vie, la mort, le malsain, le sexe et quelques autres notions. Mais quand on n'a rien d'autre à raconter, à proposer, à défendre ou à dénoncer, on ne fait que, comme le dit l'expression, "choquer le bourgeois", et rien d'autre. Cela reste parfaitement gratuit. N'est pas Pasolini qui veut.


En effet, qu'a voulu nous dire Valentin Merz ? Quel message, quel malaise, quelles questions a-t-il voulu nous transmettre ? Les scènes orgiaques ou décalées, certes filmées de manière esthétique, reviennent comme un leitmotiv tout au long du récit comme un truc, un filon bizarre que l'on exploite. Plus supportables, les autres séquences, plus humoristiques (comme celles des deux employés de pompes funèbres qui viennent de Zürich et qui se perdent), finissent tout de même par rejoindre le malaise et la provocation gratuite qui sont de mise.


On imagine non seulement Pasolini mais aussi David Lynch, Ulrich Seidl, et même le Hitchcock de Mais qui a tué Harry ?, avec ce cadavre que l'on trimballe. Espérons pour ces grands cinéastes que Valentin Merz n'a pas cherché à leur rendre hommage. Espérons aussi qu'il sera permis à ceux qui ne défendront pas cette oeuvre de ne pas passer pour des crétins incultes. Cela dit, le film aura une distribution confidentielle et ne sera sans doute vu que par quelque cercle d'initiés, dans des lieux exclusivement défenseurs de cinéma ou de théâtre "expérimental". Mais que l'on se s'y trompe pas, l'Art et Essai, l'expérimental, peuvent être formidables. Le sexe, la mort, les névroses, les accidents ont pu souvent donner de grands films. Mais quand cela vire à la provocation complaisante et au malaise gratuit, cela n'a évidemment plus aucun intérêt.


Et le titre, La nuit les chats sont bruns ? Là aussi, aucune idée, on se perd en conjectures le temps de sortir de la salle... et puis on passe vite à autre chose. Pour être complètement honnête, signalons enfin que ce film a obtenu deux récompenses à Locarno. Nous voulons croire que ce fut un encouragement pour un cinéaste nouveau venu.

Anthony Bekirov

Appréciations

Nom Notes
Anthony Bekirov 15
Philippe Thonney 2