Nope

Affiche Nope
Réalisé par Jordan Peele
Titre original Nope
Pays de production U.S.A.
Année 2022
Durée
Musique Michael Abels
Genre Epouvante-horreur, Thriller
Distributeur Universal
Acteurs Keke Palmer, Daniel Kaluuya, Steven Yeun, Michael Wincott, Brandon Perea, Wrenn Schmidt
Age légal 12 ans
Age suggéré 14 ans
N° cinéfeuilles 882

Critique

Jordan Peele, moitié du duo comique américain Key & Peele et nouvelle coqueluche du cinéma de genre, nous livre ici une prétendue critique de la société du spectacle déguisée sous un film d’invasion extraterrestre. Mais Jordan Peele n’est pas Guy Debord.

Nos lecteurs seront pardonnés de ne pas connaître Key & Peele. Créé par Keegan-Michael Key et Jordan Peele en 2012, le duo semble n’avoir connu de succès qu’aux Etats-Unis, malgré la diffusion de leurs sketches sur YouTube, où ils cumulent les millions de vue. Outre la barrière de la langue, leur humour n’aide pas à leur export. Ce dernier est centré sur la culture américaine avec une forte préférence pour la critique sociale, dirigée en premier lieu envers le racisme systémique. Même si leurs textes étaient traduits, il n’est pas dit qu’ils trouveraient leur public en Europe.

Tout ce qu’il faut retenir de cette information est que Jordan Peele est un habitué de la satire sociale. Ses deux premières réalisations, Get Out en 2017 et Us en 2019 proposaient une relecture sous le mode horrifique de la discrimination raciale en Amérique. Or Jordan Peele est aussi un connaisseur du monde du show-biz, puisqu’il y baigne depuis longtemps. Nope met de côté ainsi la question raciale pour s’intéresser de plus près à la société du spectacle, ou plus précisément, comment le capitalisme transforme l’horreur et la souffrance humaine en un bien de consommation profitable.

Pour ce faire, Peele puise dans la culture internet une large partie de son histoire. Un frère et une sœur éleveurs de chevaux sont confrontés à une entité étrange qui dévore leur cheptel. Cette entité se cache derrière les nuages et se déguise en soucoupe volante pour mieux tromper les observateurs. Ici, Peele met à profit plusieurs types de contenu courant sur les plateformes telles que YouTube. En particulier, toute la niche très appréciée des phénomènes paranormaux et des cryptides - terme désignant les entités non reconnues par la biologie officielle, comme le montre du loch Ness ou le Yéti. Que ce soit les A-beasts (monstres invisibles censés vivre dans la stratosphère), les ovnis ou les pseudo-documentaires à la Skinwalker Ranch sur les mystérieuses mutilations de bétail en Amérique, Peele convoque tout un imaginaire bien connu des internautes.

Mais le cinéaste ne les reprend pas sans en proposer une critique. Car l’un des aspects les plus notables des vidéos «surnaturelles» sur internet est le fait qu’il est impossible pour les cameramans de capturer ces phénomènes ou monstres en haute définition: même les vidéos de 2022 semblent avoir été enregistrées sur des magnétoscopes de 2005. Cet aspect est abordé avec humour et est même thématisé: le monstre de Nope, dit Jean Jacket, brouillant les signaux des appareils électroniques, il est impossible de le capturer sur vidéo. Les personnages auront donc recours à une caméra analogique pour tenter de prouver l’existence de Jean Jacket.

L’enjeu est clair. Il est question de montrer comment la société du spectacle est un pur produit du capitalisme américain qui a émergé à la fin du 19e siècle - Peele l’évoque au moyen des zoopraxographies d’Eadweard Muybridge, qu’il n’hésite pas à présenter comme la naissance du cinéma. À l’image du personnage de Jupe (Steven Yeun) qui a construit sa carrière en capitalisant sur une tragédie qui a eu lieu durant son enfance - le singe protagoniste du sitcom dans lequel il jouait, a un jour massacré le reste des acteurs -, les médias capitalisent sur la peur et la paranoïa collective pour engranger de l’audimat, et ainsi du profit, que ce soit à la télévision ou sur YouTube. Jean Jacket se transforme du reste à la fin du film en une espèce de mire télévisuelle géante, au cas où on n’aurait pas compris quel était le propos.

Mais à force de vouloir singer les médias, Nope devient indiscernable des objets qu’il critique. En respectant les codes du genre et des vidéos YouTube mais en tentant quand même de les déconstruire, le film finit par n’être ni un bon divertissement, ni un brûlot radical à la Guy Debord. Mais peut-être que pour l’Américain moyen anesthésié par le flot d’images cathodiques, Nope doit ressembler à la plus brillante des analyses.

Anthony Bekirov

Appréciations

Nom Notes
Anthony Bekirov 8
Marvin Ancian 14
Blaise Petitpierre 15
Amandine Gachnang 15
Noé Maggetti 12
Noémie Desarzens 13
Pierig Leray 19