Les Crimes du Futur

Affiche Les Crimes du Futur
Réalisé par David Cronenberg
Titre original Crimes Of The Future
Pays de production Canada, Grèce, France, Grande-Bretagne
Année 2022
Durée
Musique Howard Shore
Genre Science fiction, Thriller, Epouvante-horreur, Drame
Distributeur Metropolitan FilmExport
Acteurs Viggo Mortensen, Kristen Stewart, Scott Speedman, Léa Seydoux, Welket Bungué, Don McKellar
Age légal 18 ans
Age suggéré 18 ans
N° cinéfeuilles 881

Critique

Huit ans après son dernier film, David Cronenberg revient avec Les Crimes du futur, une plongée dans un monde au bord du précipice où le corps humain est forcé de muter pour s’adapter. Assurément l’opus le plus rétrospectif de sa filmographie, mais aussi le plus chirurgical - dans tous les sens du terme.

Dans un futur saumâtre, la terre suffoque sous les détritus. Toutefois, les avancées scientifiques ont mis fin aux maladies et par là même, à la sensation de douleur. Désormais, «la chirurgie est la nouvelle sexualité»: se mutiler à coups indolores de scalpel évoque quelque chose du plaisir. Dans ce monde synthétique, Saul Tenser (Viggo Mortensen) et Caprice (Léa Seydoux) sont un couple d’artistes aux œuvres bien particulières: tandis que le premier a le don de faire croître des organes inédits en lui et de ressentir de la douleur, la seconde est une ancienne chirurgienne qui tatoue puis extrait ces organes durant des performances publiques. Ces performances attirent l’attention de Wippet (Don McKellar) et Timlin (Kristen Stewart), employés du gouvernement qui surveillent de près les mutations du corps humain afin de les endiguer; mais aussi celle de groupuscules dissidents mangeurs de plastique, qui voient en Saul le messie du transhumanisme.

Le cinéaste canadien Cronenberg est certes connu pour son goût du body horror, représentation gore du corps humain. Mais ce qui le fascine en réalité est la mutation physique, incontrôlée, pandémique même. Crimes Of The Future (1970, dont il reprend le titre mais pas le scénario), Frissons (1975) ou Rage (1977) exploraient déjà le thème de la fin du monde via une mutation génétique contagieuse. Et dès Faux-semblants (1988), le cinéaste se découvre un intérêt pour la mutation mentale, c’est-à-dire, l’esprit comme un organe à part entière qui évolue au contact de son environnement, voire dégénère à la manière d’un cancer. De Spider (2002) à Maps To The Stars (2014), Cronenberg laisse de côté la chair pour se concentrer sur les excroissances les plus immorales de l’âme humaine.

Avec son second Crimes Of The Future, il semble vouloir boucler la boucle, rendre hommage à ses premiers films plus sanglants tout en poursuivant les réflexions de ses plus récentes productions. Visuellement, il cite en effet les amalgames techno-organiques du Festin nu (1992) et l’univers médical de Faux-semblants. De Frissons ou Rage, il reprend l’arrière-fond crépusculaire et apocalyptique: les personnages vivent la nuit ou sous terre, dans des bâtiments délabrés et sans couleur. Les décors sont minimalistes et les lieux peu nombreux. Ces humains d’un monde en crise ne savent plus même composer avec les objets du quotidien, moins familiers à présent que des tumeurs. La majorité préfère s’en accommoder et vivre dans un déni bourgeois fait de soirées mondaines, d’électroménager humanoïde mais défectueux, et de plaisirs mentaux. En réaction, certains ont décidé d’accélérer le processus évolutif et modifier le corps humain pour l’adapter à la pollution environnante, quitte à commettre un génocide (voir l’édito à ce sujet).

Faut-il alors souffrir pour créer? Ici, Saul attise les fantasmes car il peut avoir mal: ses nouveaux organes lui provoquent des spasmes et des crampes terribles. Aussi apparaît-il comme le seul véritable créateur dans une communauté de faussaires - à l’image de Tarr, un danseur qui s’est fait greffer une douzaine d’oreilles non fonctionnelles sur le corps; où d’Odile qui se mutile le visage pour paraître plus laide, un caprice plus artificiel qu’artistique car une mutilation sans douleur perd toute force expressive. Saul est le seul à muter par soi-même.

Dans Les Crimes du futur mais comme partout ailleurs, Cronenberg offre un constat ambigu. Saul accepte d’être espion car il ne croit pas au transhumanisme - tout ce qu’il souhaite est ne plus souffrir de ses mutations. D’un autre côté, il est profondément artiste et méprise ce gouvernement insensible à la beauté des nouvelles formes. La solution de Saul à ce dilemme sera solitaire, égoïste. L’art ne peut changer le cours de l’histoire humaine et encore moins celle du cosmos. Mais il peut nous apprendre l’importance d’un corps sensible dans une société en quête de consensualité moribonde.

Anthony Bekirov

Appréciations

Nom Notes
Anthony Bekirov 18