Silence Radio

Après Muchachas, documentaire sur les employés de maison - très souvent exploités dans les pays d’Amérique latine -, ayant travaillé pour sa famille, Juliana Fanjul met en lumière une autre forme d’injustice, celle qui contraint de nombreux journalistes au silence.

Le documentaire nous plonge d’emblée dans le tumulte qui ébranle le milieu journalistique au Mexique. Une foule est réunie pour revendiquer plus de justice, à la suite du meurtre en pleine rue du journaliste Javier Valdez, en mai 2017. Il s’est rendu coupable, aux yeux des cartels, d’investiguer sur le trafic de drogue qui gangrène son pays. C’est dans cette agitation que nous rencontrons la protagoniste du film, Carmen Aristegui, journaliste elle aussi, qui prend la parole pour affirmer le refus du silence auquel le gouvernement aimerait les contraindre. Sa trajectoire le prouve: elle est virée en 2015 de l’émission radiophonique qu’elle animait, après avoir révélé des affaires de corruption qui impliquaient Enrique Peña Nieto, alors président de la République. Loin de la décourager, elle se défendra en justice contre cette décision, en même temps qu’elle recréera une rédaction indépendante, diffusant du contenu sur internet. Insultes, intimidations et menaces auront beau fuser, elle continuera d’exercer son métier, au risque de sa propre vie. Les combats de Carmen Aristegui, présentée comme une femme proche du peuple, nous entraînent autant que nous révoltent les crimes qui traversent le pays - même si ceux-ci sont trop rapidement évoqués par la cinéaste.

À une réalité empêtrée de telenovelas que le président voudrait supplanter au réel, la réalisatrice Juliana Fanjul en propose une saisie sur le vif. Des plans crépusculaires et nocturnes, souvent filmés depuis une voiture, et qui ponctuent Silence Radio, donnent à sentir l’obscurité de la situation, en même temps qu’ils capturent l’animation nocturne. Comme lors d’une des belles séquences du documentaire, où dans un trafic ralenti, une femme avance à reculons entre les voitures, en cherchant à vendre de la marchandise aux automobilistes. Si depuis 2018, un nouveau président, Andrés Manuel López Obrador, est à la tête du pays, les crimes envers les journalistes sont quant à eux encore bien d’actualité: ne serait-ce qu’en janvier 2022, quatre d’entre eux ont été assassinés après avoir dénoncé des affaires de corruption. On comprend alors ô combien le silence devient une question de survie, et la parole un acte de résistance.