The Batman

Affiche The Batman
Réalisé par Matt Reeves
Titre original The Batman
Pays de production U.S.A.
Année 2022
Durée
Musique Michael Giacchino
Genre Action, Policier, Thriller
Distributeur Warner Bros.
Acteurs Jeffrey Wright, John Turturro, Paul Dano, Colin Farrell, Robert Pattinson, Zoë Kravitz
Age légal 12 ans
Age suggéré 14 ans
N° cinéfeuilles 874

Critique

Majestueux autant que navrant, The Batman est un film écartelé. Écartelé entre une relecture désespérée et visuellement soignée de son héros, et une narration constamment empêchée par sa pauvreté infâme.

Une présence en haut d’un immeuble observe à travers des jumelles le maire de la ville devant son téléviseur. Séparation du voir et de l’être vu. Un voyeur qui voit. Un être vu qui ne le voit pas en retour. Organisée autour d’un dispositif panoptique soigneusement mis en place, l’ouverture de The Batman prend appui sur une idée désormais bien connue (en tout cas depuis Foucault): celle de la relation privilégiée que le Voir entretient avec le Pouvoir. Or, dans l’univers de Gotham, cette loi est investie un peu différemment: cette observation se fait par un usage voyeur de la caméra subjective, thématisant par là la pulsion scopique qui serait au centre du dispositif cinématographique (on pense alors naturellement à Peeping Tom). Ainsi, le maire est, à son insu, victime d’un double regard, d’un regard spectatoriel rabattu, le temps d’un instant, sur un regard morbide, celui du tueur, à l’origine du meurtre imminent. Cut. Raccord regard. Nous sommes désormais à l’intérieur du sombre appartement de l’homme politique, filmé en plan moyen, debout, en face de son écran, ignorant ce qui se trame dans son dos: The Riddler (Paul Dano, insupportable, passant du serial killer au lanceur d’alerte pour finir en terroriste complotiste d’extrême droite) est, comme nous, passé du dehors au dedans et se tient tapi dans l’ombre, attendant le moment opportun pour massacrer sa proie. C’est là que la loi énoncée auparavant se dérègle: dans l’univers de Gotham, le Voir quitte le Pouvoir pour aller du côté du Mal. De ce Mal mabusien, omniprésent pourtant insaisissable, dont l’acuité malade lui confère toujours un temps d’avance.

Cette entrée en matière dessine ce qui sera la matrice narrative du film, son moteur: toute son intrigue recycle une figure importante du polar urbain, emblématique d’un certain cinéma américain, la poursuite - on pense énormément à Friedkin. Le schéma est simple (et non simpliste): un poursuivant - Batman, campé par un Robert Pattinson prodigieux - s’efforçant de combler l’écart que lui impose celui qu’il poursuit. De deux choses l’une: soit le poursuivant se laisse définitivement distancier par le poursuivi, soit il arrive à s’y agréger dans une réunion qui scelle la course, et, avec elle, le sort de la population de Gotham. Ce n’est pas un hasard si Batman apparaît pour la première fois sur sa moto, roulant dans une ville transformée en un labyrinthe chaotique, où le bruit de la pluie se mélange parfaitement au Something In The Way de Nirvana pour indexer à cette version du justicier un côté grunge étonnement crédible. L’insistance avec laquelle on répète les gros plans sur son regard ténébreux participe, par ailleurs, à consolider cette interprétation originale du Batman qui cherche à le situer au croisement du névrosé et du héros magnifiquement tragique. Mais surtout, pour revenir à ce qui nous intéresse, il n’est pas hasardeux que la séquence centrale - et sans doute la plus soignée du long métrage - soit précisément celle de la course-poursuite entre Batman et le Pingouin (Colin Farrell, excellent). Sur une autoroute transfigurée en une piste des enfers, où la fumée et le feu se mêlent indifféremment à la pluie dans un ballet mécanique hallucinatoire, la poursuite illustre l’inventivité flamboyante dont Matt Reeves fait parfois preuve tout en renouant avec une certaine noirceur graphique qui n’est pas sans rappeler le travail extraordinaire mené par Alan Moore ou Frank Miller sur le plan des comics.

Malgré cette volonté de coller à l’ambiance désenchantée du comics, le cinéaste en déprécie cependant la charge politique tout en la réduisant à des motivations personnelles. Les enjeux sociaux contenus dans l’intrigue sont ici évacués au profit d’une psychologisation balourde qui se limite bien souvent à la question du Père symbolique, La torture de Batman résulte de son statut d’orphelin; le manque de figure paternelle semble également être à l’origine de la folie de The Riddler; même les actions de Selina (Zoë Kravitz, dont le personnage est horriblement mal écrit) sont mues par une logique vengeresse visant Falcone, ce père l’ayant abandonnée. Traumacentrique, l’opération scénaristique relève en réalité toujours d’une opération psychanalytique, animée par une croyance forte: le manque de père causerait nécessairement un manque de repères. A en croire le film, c’est en déterrant les traumas du passé que l’on rendrait compte des malaises du présent. Or, c’est peu dire, Matt Reeves oublie une chose essentielle: l’extrême psychologisation aboutit toujours à une malheureuse dépolitisation.

Kevin Pereira

Appréciations

Nom Notes
Kevin Pereira 13