Otar's Death

Affiche Otar's Death
Réalisé par Ioseb 'Soso' Bliadze
Titre original Otar's Death
Pays de production Géorgie, Allemagne, Lituanie
Année 2021
Durée
Musique Domas Strupinskas
Genre Drame
Distributeur trigon-film
Acteurs Nutsa Kukhianidze, Iva Kimeridze, Eka Chavleishvili, Achi Makalatia
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 873

Critique

Le premier long métrage du cinéaste géorgien Ioseb Soso Bliadze est une œuvre à la fois dense et ambitieuse qui confronte ouvertement à la question morale: que penser de la mise à profit d’un accident mortel?

Un lac, des hommes se baignent. A son bord, Nika, adolescent de 16 ans, profite du zénith en compagnie de sa mère, Keti, et d’une de ses amies. Les deux femmes s’en vont, promettant à Nika de revenir rapidement, d’ici quinze minutes au maximum, précise la jeune maman. Cut. Plan large de Nika, seul sur une plage soudainement devenue crépusculaire. Quoiqu’on ait dit un quart d’heure, l’ellipse dit surtout ici l’abandon. En embrassant une durée, posée comme relativement entendue par l’économie narrative, l’ellipse confère à la solitude de Nika le poids, écrasant, de la solitude, et avec lui, celui de la tragédie. Délaissé ainsi par sa mère - en réalité partie boire des verres, apprend le spectateur -, Nika décide de rentrer sans elle, quitte à prendre la voiture alors qu’il n’a pas le permis. La suite est prévisible et conduit inévitablement à la catastrophe: Nika renverse un vieil homme, Otar. Bliadze, en ceci fidèle à Corneille dans son écriture, fait de l’accident l’origine du nœud, mieux, du dilemme structurant: Keti a une journée - unité de temps - pour récolter l’importante somme réclamée par la famille du défunt ou son fils fera l’objet d’une plainte qui l’enverrait tout droit en prison.

Cette scène, qui donne son titre au long métrage, me semble représentative de l’art du jeune cinéaste, dans tout ce qu’il peut contenir de prometteur mais aussi, on ne l’espère pas, de peureux: dès le moment où Nika heurte Otar, la caméra reste arrimée à son point d’ancrage principal, Nika, reléguant le mort hors champ, là précisément où d’autres auraient sans doute misé sur la monstration du corps inanimé, en tant qu’il autoriserait le lancement d’une séquence dramatique, pire, larmoyante. Aux antipodes de l’artifice - et on le salue pour cela! - Bliadze décide plutôt de coller au réel: le choc traumatique tel que vécu par Nika n’est pas sentimental. Comme chez Pawlikowski, il est sec, froid, et contraint à l’inhibition. À l’immobilité d’un plan fixe qui semble refuser à celui qui tue autre chose que l’emprisonnement - ici au sein du cadre.

Peureux, disions-nous. Car dans ce qui se donne a priori comme de l’intelligence ou de la finesse - on attendra ses prochaines propositions pour hasarder un constat final - se nichent selon nous les premiers indices d’une frilosité artistique, tant le cinéaste évite avec soin la grande majorité des scènes difficiles, les abstrayant dans et par son usage remarquable de l’ellipse. Exemple. Keti s’en va demander de l’aide - c’est-à-dire de l’argent - à sa famille qu’elle n’a plus vue, apprend-on, depuis deux ans. Filmée en plan large, assise sur un canapé aux côtés de sa mère, Keti amorce sa tentative. Le ton monte, surtout chez la mère, indignée, s’offusquant de l’irresponsabilité dont Keti fait preuve en tant que jeune mère. Les dialogues se font saisissants et relèvent subtilement la conscience du cinéaste dans le destin tragique de son peuple: comme chez Zvyagintsev, le dysfonctionnement familial se fait l’emblème de la déréliction de la nation. Le problème, qui n’en est pas véritablement encore un, c’est la coupe, franche, tranchante, qui intervient au milieu de cette discussion pour nous faire comprendre l’inanité de la demande de Keti. Seulement voilà: cette esquive n'est pas sans accuser le poids d'une certaine pesanteur et, là encore, on espère avant tout qu'elle ne soit pas le signe d'une appréhension paralysatrice au moment d'aborder frontalement les séquences casse-gueule constitutives, à condition bien entendu qu'elles soient réussies, des grandes œuvres. Quelques autres scènes - la conversation entre Nika et la fille qu’il prétend ou encore celle de la bagarre en boîte de nuit - pourraient faire l’objet d’une même analyse tant celles-ci semblent structurées autour du même motif de l’évitement.

De Otar’s Death, il en reste beaucoup à dire. Et pour cause. Ce premier long métrage est le lieu d’un foisonnement, d’une générosité souvent caractéristique des coups d’essai. Mais le problème lorsque l’on donne autant, c’est que l’on court le risque de donner trop. Et, de fait, Bliadze semble être un homme bon, ô combien charitable, mais la charité forcenée dont il fait preuve met parfois mal à l’aise. A trop vouloir faire bien, on ne fait que rarement dans le juste. D’autant plus lorsque - comme lui! - on décide de faire le clown1.


1 Un des très gros problèmes du film réside dans le didactisme outrancier contenu dans l’usage de la figure du clown.

Kevin Pereira

Appréciations

Nom Notes
Kevin Pereira 13