Memoria

Affiche Memoria
Réalisé par Apichatpong Weerasethakul
Titre original Memoria
Année 2021
Durée
Musique César López (II)
Genre Drame
Distributeur Cinémathèque suisse
Acteurs Jeanne Balibar, Tilda Swinton, Daniel Giménez Cacho, Elkin Díaz, Juan Pablo Urrego, Agnes Brekke
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 871

Critique

Prix du Jury au dernier Festival de Cannes, Memoria est le premier film de Weerasethakul hors de sa Thaïlande natale, et le premier avec des acteurs internationaux, dont Tilda Swinton. Il y approfondit ses thématiques chères: la résurgence du passé sur le présent, être esprit parmi les vivants - et surtout, les maladies tropicales.

Bogota, Colombie. L’Ecossaise Jessica Holland (Tilda Swinton) rend visite à sa sœur Karen à l’hôpital, atteinte d’une forme de narcolepsie aussi soudaine qu’inexpliquée. Mais Jessica elle aussi semble être victime d’un mal sans nom: elle est poursuivie par des sons et des lumières clignotantes où qu’elle aille, et en particulier par un bruit qui revient constamment, celui d’une «grosse boule tombant dans un puits en métal entouré d’eau de mer». Sur le conseil de son beau-frère Juan (Daniel Giménez Cacho), elle va voir Hernán (Juan Pablo Urrego), jeune ingénieur du son, qui l’aide à reproduire ce qu’elle entend dans sa tête. Les deux sortent ensuite en ville, mais Jessica prend l’amitié de Hernán pour des avances et le fuit. De retour à l’hôpital, Jessica rencontre Agnès (Jeanne Balibar), une doctoresse qui travaille sur des ossements d’anciennes peuplades indigènes. Cette dernière invite Jessica à l’accompagner à La Línea sur des sites de fouilles. Une fois sur place, Jessica tombe à nouveau sur Hernán (Elkin Díaz), cette fois vieilli et écaillant du poisson. Il semble tout savoir d’elle; et elle, se remémorer des souvenirs qui ne lui appartiennent pas. Soudain, les strates temporelles et spatiales s’effondrent et s’emmêlent.

Les férus de fantastique auront reconnu que Jessica Holland fut d’abord interprétée par Christine Gordon dans le classique de Jacques Tourneur I Walked With A Zombie de 1943, où elle est une jeune femme envoûtée par des sorciers dans la jungle des Caraïbes. Chez Weerasethakul, Jessica ne s’appartient pas non plus. Même si elle n’est «que de passage» à Bogota, Jessica est happée par les lieux qui lui envoient des signes: dans le parking de l’hôpital où les sirènes et les feux des voitures s’enclenchent tout seuls; l’éclairage défectueux dans l’exposition de peintures sur les extraterrestres; les bruits de déflagration que personne ne semble entendre; ses proches qui contredisent la réalité de ses souvenirs. Intriguée, Jessica accepte donc bien volontiers de suivre Agnès sur le site archéologique sous la cordillère des Andes, car elle espère trouver dans ce lieu de passé profond la source de son malaise.

Le passé qui imprègne le présent, les fantômes qui vivent parmi nous, le Soi qui est le Nous collectif de nos métempsycoses, Weerasethakul l’a souvent mis en scène, notamment dans son film précédent Cemetery Of Splendour dans lequel les soldats de l’hospice étaient eux aussi narcoleptiques en raison du cimetière antique enfoui sous eux, où les esprits des rois puisaient dans l’énergie vitale des vivants afin de poursuivre leurs batailles. Dans Oncle Boonmee, l’oncle en question se souvient de sa première vie au moment de sa mort, et se transforme en esprit de la forêt simiesque; dans Tropical Malady, le soldat Keng n’est autre que l’incarnation d’un chaman intemporel qui hante les forêts sous forme de tigre. Même le titre de Mysterious Object At Noon (2000), son premier long métrage, renvoyait déjà à la présence parmi les humains d’êtres «venus d’ailleurs».

Dans Memoria, la figure de Hernán remplit ce rôle. Se présentant lui-même comme un alien, il prétend se souvenir de tout ce qu’il voit et ressent, même les traces laissées par autrui sur les pierres, les arbres, les objets d’une chambre décrépie. Les souvenirs que Jessica croyait avoir sont en fait ceux de Hernán: il est l’archive ouverte de tous les affects du monde, de tous les bruits, de tous les sons. Jessica en est le réceptacle qui essaie de faire sens des signes dispersés du monde. Tous ces morceaux d’histoire et de mémoire convergent dans la maison de Hernán où Tilda ressaisit enfin la somme de ses existences passées, et comprend qu’il faut s’élargir à l’univers pour supporter le fardeau de ne jamais être tout à fait soi-même. Alors qu’elle s’était battue avec une médecin récalcitrante pour obtenir des cachets de Xanax, elle décide finalement de les donner à Hernán qui ne souhaite qu’une chose: pouvoir oublier et disparaître dans une mort paisible. Jessica, au confort lâche d’une vie sans rêve, préférera accepter le monde - ses petites joies, et ses longues tristesses.

Anthony Bekirov

Appréciations

Nom Notes
Anthony Bekirov 18
Serge Molla 13
Sabrina Schwob 16
Marvin Ancian 14