Siberia

Affiche Siberia
Réalisé par Abel Ferrara
Titre original Siberia
Pays de production Italie, Allemagne, Mexique
Année 2020
Durée
Musique Joe Delia
Genre Expérimental, Drame
Distributeur Cinémathèque suisse
Acteurs Willem Dafoe, Simon McBurney, Daniel Giménez Cacho, Dounia Sichov, Cristina Chiriac, Valentina Rozumenko
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 864

Critique

Les personnages que dépeint Abel Ferrara sont très souvent en lutte contre des démons divers face auxquels ils succombent parfois. C’est à nouveau le cas, avec la visite de démons du passé, dans cette œuvre difficile, abstraite, guère limpide mais d’une grande beauté esthétique.

Le cinéaste new-yorkais Abel Ferrara fait partie de ces créateurs qui, comme Pier Paolo Pasolini (qu’il vénère et auquel il consacra un biopic en 2014), ont un univers et une manière de le raconter bien à eux. Sur internet, Siberia est qualifié de «drame expérimental». Excellent libellé! Les premières minutes du film peuvent laisser croire à une histoire cohérente et au premier degré. Dans une cabane isolée au milieu des neiges sibériennes, Clint (Willem Dafoe) a aménagé un bar rudimentaire où quelques Inuits viennent de temps à autre boire un verre de rhum ou de vodka. Il y vit seul avec ses huskys et semble obsédé par la nostalgie de son enfance canadienne. Mais rapidement, le récit part dans une tout autre direction. Clint rêve-t-il, hallucine-t-il ou se perd-il dans la folie? Le cinéaste ne répond pas clairement à cette question et nous propose une suite de scènes oniriques, tantôt tendres tantôt cauchemardesques, lors desquelles Clint va se retrouver à converser avec son père décédé, son frère, son ex-femme, un magicien adepte des arts occultes ou sa mère, dans une scène très œdipienne-freudienne. Il s’explique avec eux, règle des comptes ou leur demande pardon, au milieu d’autres rêves (ou souvenirs?) traumatisants. Comme le dit finalement l’une de ses «apparitions», Clint se débat pour savoir qui il est.

Le film ne peut donc être pris au premier degré, et le public devra faire l’effort d’accepter simplement ce qu’on lui propose. Le moins que l’on puisse dire est que le réalisateur ne mâche pas le boulot aux spectateurs et que ceux-ci devront réellement se concentrer et travailler du chapeau. Un peu trop sans doute, avec cette œuvre se situant quelque part entre Terrence Malick, David Lynch et Lars von Trier... tout en étant du Ferrara pur sucre.

La mise en scène et l’esthétique sont impeccables. La pénombre, très présente, est magnifiquement filmée. Au milieu de toutes ces séquences fantasmagoriques, la mort, le vide, l’érotisme, les sentiments ou les états d’âme sont montrés d’une manière à la fois belle et étrange. Cela culmine lors d’une scène de coucher de soleil au fond d’une grotte. Cette esthétique est le réel fil rouge du récit, plus que l’histoire proprement dite. Elle accentue le sentiment du spectateur de ressentir les choses bien plus que de les voir... et d’être confronté à plus de questions que de réponses. Une partie non négligeable du public sortira certainement perplexe de Siberia. Toutefois, même si le film ferait sans doute le bonheur d’un congrès de psychanalystes, il n’en est pas moins très sincère et nullement gratuit ou racoleur comme ce que Lars von Trier peut proposer parfois.

Rappelons encore que malgré une filmographie impressionnante, de multiples récompenses et un talent hors pair, Willem Dafoe n’est pas de ceux auxquels on pense spontanément lorsqu’on s’amuse à évoquer les grands comédiens du cinéma contemporain. Cela vient, sans aucun doute, de son désir parfaitement respectable de donner le moins possible dans l’«hollywoodien» et de parcourir inlassablement le monde entier pour tourner dans des œuvres pointues, dérangeantes ou austères. Outre Ferrara qui le dirige ici pour la sixième fois, citons, parmi les cinéastes qui l’ont employé, Alan Parker, Wes Anderson, Lars von Trier, Julian Schnabel, Werner Herzog ou Paul Schrader. Pas grand-chose à voir en effet avec le cinéma du samedi soir.

Philippe Thonney

Appréciations

Nom Notes
Philippe Thonney 12
Sabrina Schwob 13