Samos, The Faces Of Our Border

Affiche Samos, The Faces Of Our Border
Réalisé par Shams Abou El Enein
Titre original Samos, The Faces Of Our Border
Pays de production SUISSE
Année 2019
Durée
Genre Documentaire
Distributeur Aardvark Film Emporium
Age légal 10 ans
Age suggéré 14 ans
N° cinéfeuilles 857

Critique

Samos est un documentaire formidable mais absolument glaçant, implacable et minutieux. Le réalisateur a passé plusieurs semaines à Samos, où se déroule, «loin des yeux de l’Occident» comme disait Daniel Balavoine, un drame quotidien qui remet en question l’humanité. Voici un film coup de poing, tragique et utile.

Toutes les interviews ont été réalisées en juin 2019 sur l’île de Samos. Rappelons qu’elle est l’une des cinq îles grecques par lesquelles les migrants peuvent tenter d’intégrer l’espace Schengen. Ils y passeront en moyenne entre cinq mois et deux ans, à dormir sous des tentes crevées situées à côté d’un flot d’eau venant directement des égouts, au milieu des déchets, des rats et des serpents, entassés à 6'000 dans un endroit où l’on évalue le nombre de places à 600. On se souviendra aussi que si la Grèce fait bel et bien partie de Schengen, ce n’est pas le cas de ses pays limitrophes. Il y a donc une frontière bien hermétique, avec demandes de passeports et militaires armés, transformant ces lieux paradisiaques devenus décharge humaine en prison à ciel ouvert.

Le film est un authentique documentaire dans la mesure où il ne cherche pas à convaincre le public avec des arguments humanistes ou politiques, n’essaie pas frontalement de changer les mentalités ou les opinions. Il n’en a d’ailleurs pas besoin, car les images, les témoignages, les cris de détresse et les réflexions basées sur le vécu sont éloquents. Le réalisateur a donné la parole à de nombreuses et diverses personnes: des migrants bien sûr, mais aussi des bénévoles, des habitants de l’île, des employés de l’administration, des garde-frontières, des journalistes, un aumônier ou des responsables humanitaires. Une question se pose: si ces humains ont risqué leur vie à chaque seconde pendant plusieurs semaines, s’ils ont laissé parents et enfants de l’autre côté de la mer, ne serait-ce pas pour une bonne raison? Une raison vitale, tout simplement? L’une des bénévoles s’étrangle d’ailleurs d’entendre certaines réflexions d’observateurs qui disent qu’après tout, être en Grèce c’est mieux qu’être au Soudan ou en Syrie, alors que ces personnes viennent de ces pays et qu’on les entasse parfois durant plusieurs années dans les ordures. Un infirmier raconte avoir secouru des personnes en état de choc post-traumatique suite à d’inimaginables violences subies dans leur pays, et qui se retrouvent à Samos dans des situations sanitaires encore pires. C’est la politique européenne, peu claire et surtout parfois différente selon les contrées (avec des accords de «tri des migrants» monnayés 3 milliards de dollars entre l’Europe et la Turquie), qui est notamment responsable de cette catastrophe inhumaine. Cette Europe qui analyse la crise migratoire à coups de chiffres et de graphiques, en oubliant qu’il y a des hommes, des femmes et des enfants derrière les statistiques. Une autre intervenante rappelle qu’on ne peut parler d’immigration illégale, puisque selon la loi les demandeurs d’asile ne sont pas illégaux. On les traite toutefois pire que des criminels.

Sont également dévoilées les rares conditions de travail ou la mafia des passeurs qui s’engraissent sur la misère. L’accent est mis aussi sur les détresses psychologiques, les maladies, les agressions subies à l’intérieur du camp et notamment par les femmes; ou sur les nombreux enfants mal nourris, manquant de chaleur et d’eau potable. Plusieurs cas particuliers, racontés par du personnel médical ou des employés de diverses ONG, soulèvent l’âme et le cœur. Nous ne raconterons pas ici tout ce que ce documentaire-choc nous apprend, car il faudrait y consacrer plusieurs pages et cela dépasse tout simplement l’entendement. Nous nous contenterons de relever l’humanité et le courage de toutes les personnes interviewées, comme cet infirmier français ou cette jeune Suissesse, étudiante en médecine, qui se rendent utiles dans cet enfer. Elle, en particulier, analyse de manière implacable mais tellement juste la responsabilité de l’Occident dans cette horreur. Le moins que l’on puisse dire est que l’on doit s’accrocher pour voir le film jusqu’au bout tant c’est parfois dur. Mais il faut le faire car il s’agit tout simplement d’un document utile que tous citoyen et citoyenne, tout responsable politique européen, quelle que soit son appartenance, devrait voir; afin de, tout simplement, ouvrir les yeux sur cette réalité ahurissante que l’on ne fait parfois que soupçonner. Car il y a bel et bien des endroits, dans notre monde civilisé, dans lesquels la plus basique notion d’Humanité n’est qu’une vue de l’esprit.

Philippe Thonney

Appréciations

Nom Notes
Philippe Thonney 15