Le blues de Ma Rainey

Affiche Le blues de Ma Rainey
Réalisé par George C. Wolfe
Titre original Ma Rainey’s Black Bottom
Pays de production U.S.A.
Année 2020
Durée
Musique Branford Marsalis
Genre Drame, Musical
Distributeur Netflix
Acteurs Viola Davis, Chadwick Boseman, Colman Domingo, Glynn Turman, Jeremy Shamos, Taylour Paige
Age légal 14 ans
Age suggéré 14 ans
N° cinéfeuilles 851

Critique

Chicago, 1927, la chanteuse de blues Ma Rainey enregistre en studio. La violence raciale et sociale d’une époque apparaît au grand jour dans ce film, avec à l’arrière-fond un duel musical et intergénérationnel.

Moins connue que Bessie Smith, Ma Rainey (1886-1939) est une figure fondatrice du blues. Toutefois, plutôt que de livrer un biopic truffé de pathos pour l’évoquer, le metteur en scène de théâtre et cinéaste George C. Wolfe a adapté la pièce d’August Wilson (prix Pulitzer) Ma Rainey’s Black Bottom. Et cela avec Denzel Washington pour producteur, lui qui le fut déjà pour Fences du même dramaturge et dans lequel il jouait lui-même aux côtés de Viola Davis (Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle). Peu d’éléments biographiques donc dans cette réalisation très soignée, au profit d’une occasion de ressentir profondément un climat et de côtoyer, le temps d’une séance d’enregistrement, des êtres pris dans les contradictions dues aux discriminations raciales.

Tout commence par une séquence qui pourrait faire croire que l’on va assister à un lynchage dans le Sud profond. Deux adolescents noirs semblent s’enfuir, alors qu’ils se rendent en toute hâte à un concert dans un boui-boui, où la voix de Ma Rainey, tout comme ses postures sensuelles et équivoques, ensorcellent ses auditeurs, sans parler des paroles à double sens des blues qu’elle interprète, à commencer par son fameux Ma Rainey’s Black Bottom (cul noir). Mais à ce bref et troublant moment de cinéma succède un huit clos dès que l’on rejoint un studio de Chicago, où la «mère du blues» se fait attendre.

Alors que ses musiciens sont déjà présents et patientent au sous-sol dans une soi-disant loge aux allures de cave, les conversations vont bon train mêlant musique et condition raciale. L’arrivée de Ma en compagnie d’une toute proche et de son neveu devrait interrompre cela mais, à l’inverse, fait remonter le débat du sous-sol à la salle d’enregistrement, où l’artiste dicte ses conditions et se confronte violemment avec son manager et son producteur blancs. Malgré leurs désirs de lui imposer leurs propres choix, plus rémunérateurs à leurs yeux, ils font face à une artiste consciente de ce qu’elle représente et de l’admiration qu’elle suscite: «Si tu es noir et que tu rapportes de l’argent, ils vont te faire des courbettes. Mais juste après, ils vont te traiter comme un chien galeux.» Autant dire qu’elle ne souffre d’aucune naïveté: «Ils n’ont aucune considération pour moi. Tout ce qu’ils veulent c’est ma voix. Et moi, j’le sais ça, alors ils vont me traiter comme je le veux moi, que ça leur plaise ou non.» De tels propos n’ont rien d’exagéré sur les lèvres de la chanteuse, mi-diva mi-dragon, véritable volcan auquel rien ne résiste, magnifiquement incarnée par l’énergique Viola Davis, outrageusement maquillée et les dents recouvertes de métal pour l’occasion.

Côté musiciens, priorité est donnée au trompettiste Levee qui tente de placer ses arrangements et ses compositions qui font la part belle aux improvisations destinées à orner le chant de Ma Rainey. Raie sur le côté, chaussures jaunes rutilantes, Chadwick Boseman, décédé à 43 ans en août dernier, y interprète là son ultime rôle, aux antipodes de T’Challa qu’il incarnait dans Black Panther. Le séducteur intérieurement blessé a beau tenir le second rôle, il impressionne par sa présence et la colère qui l’habite, le conduisant à tenir des propos décapants devant ses deux compères plus âgés.

Si les dialogues sont ciselés et ne manquent jamais leur cible, les quelques moments musicaux valent le détour et permettent de saisir l’originalité d’une musique en plein devenir. «Les Blancs ne comprennent pas le blues. Ils l’entendent sortir, mais ils ne savent pas comment il est né», relève perspicace Ma Rainey. Francis Cabrel rappelle cela avec reconnaissance, lui qui mentionne Ma Rainey dans sa chanson Cent ans de plus consacrée au blues. «C’est eux qui [l’]ont fait...», répète-t-il. Sans aucun doute.

Serge Molla

Appréciations

Nom Notes
Serge Molla 16