Queen & Slim

Affiche Queen & Slim
Réalisé par Melina Matsoukas
Titre original Queen & Slim
Pays de production U.S.A.
Année 2019
Durée
Musique Devonté Hynes
Genre Thriller, Drame
Distributeur Universal Pictures
Acteurs Chloë Sevigny, Flea, Daniel Kaluuya, Bokeem Woodbine, Jodie Turner-Smith, Sturgill Simpson
Age légal 14 ans
Age suggéré 14 ans
N° cinéfeuilles 851

Critique

Imparfait, le premier long métrage de la réalisatrice Melina Matsoukas n’en demeure pas moins grand. Grand par le diagnostic qu’il opère du fatalisme social et racial de l’Amérique de Trump. Grand dans sa manière de travailler ses personnages principaux: du rendez-vous Tinder au statut de figures mythiques.

Slim est au volant. Il ramène Queen chez elle, à la suite d’un rendez-vous. In a Sentimental Mood de John Coltrane réunit les deux personnages dans une ambiance feutrée, chaleureuse, ouverte sur les possibilités d’une nuit commune. Mais, comme un symbole, la sirène d’une voiture de police retentit, en contrepoint. Le duo doit s’arrêter. Et avec lui, la tranquillité, la liberté. Un contrôle s’amorce, comme tant d’autres, durant lesquels la couleur de peau est un marqueur, un signe, celui du premier délit. Celui qui confirme que l’emprisonnement est une expérience que l’on peut faire en étant apparemment en liberté. Et comme souvent, l’événement tourne mal. Mais cette fois-ci, la mort change de camp: c’est le flic qui tombe, d’une balle de Slim. Queen l’exhorte - il faut partir. Slim hésite -, s’échapper est un acte immoral. Queen a néanmoins le mot de la fin «Yes we can», conclut-elle, symboliquement. Voici condensée, en une réplique, la situation de l’Amérique post-Obama.

Ainsi s’ouvre Queen & Slim. Ou plutôt, c’est ainsi que la réalisatrice met en place une cavale inéluctable aux harmoniques de tragédie classique. Dès lors, rien de plus cohérent que d’élever ses personnages en mythes iconiques, en héros contestataires. Et c’est dans leur itinéraire que leur légende se dessine: à l’image de cette douce séquence dans un bar afro-américain où, malgré leur reconnaissance par les uns et par les autres, on leur assure qu’ils ne risquent rien, qu’ils peuvent s’accorder une danse en toute sérénité. Ou encore, cette rencontre touchante, mais finalement navrante, avec un jeune militant qui les prend pour modèles, pire, pour exemples. Au fil de leurs rencontres, Queen et Slim comprennent que leur couple forme, malgré eux, un symbole qui encourage la solidarité et l’opposition envers un système qui favorise l’exclusion de la communauté noire.

Comme c’est habituellement le cas avec les tragédies classiques, l’appareil grammatical est largement travaillé en vue de produire, par sa forme, quelque chose proche du sublime. Ici, la règle est comprise, et la filiation respectée. Comme chez Corneille ou Racine, Eros et Thanatos tendent à se rejoindre, à se confondre, à ne faire plus qu’un par le montage alterné: l’entrelacement des corps est ponctué par des images d’émeutes meurtrières. Mais de manière plus générale, on pourrait avancer sans crainte que c’est précisément cet investissement de l’amour par la catastrophe qui rend le lyrisme d’ensemble aussi rutilant. Alors, certes, cette association nous achemine vers un acte final quelque peu convenu, pour ne pas dire attendu. Aussi, il est vrai que - bien que ce serait mécomprendre les codes de la tragédie - la mise en scène y favorise une montée du pathos en mesure d’alourdir son dénouement. Néanmoins, nous ne saurions ici, pas plus qu’à l’accoutumé d’ailleurs, appréhender la maestria de l’ensemble de l’œuvre uniquement au prisme de son épilogue. Surtout lorsque celui-ci est une preuve évidente que ce qui compte pour la réalisatrice, c’est d’abord la puissance de son message: l’asservissement des Afro-Américains est tellement inscrit dans la mémoire américaine, son histoire, qu’il a désormais pris les douloureuses teintes du récit mythique.


Kevin Pereira

Appréciations

Nom Notes
Kevin Pereira 16