Paul Nizon: Un clou dans la tête

Affiche Paul Nizon: Un clou dans la tête
Réalisé par Christoph Kühn
Titre original PAUL NIZON: DER NAGEL IM KOPF
Pays de production SUISSE
Année 2020
Durée
Musique Peter Scherer (II)
Genre Documentaire
Distributeur Filmcoopi
Acteurs Paul Nizon, Hervé Hague
Age légal 12 ans
Age suggéré 12 ans
N° cinéfeuilles 850

Critique

Paul Nizon, l’un des grands noms de la littérature suisse, a préféré vivre et écrire à Paris. Il s’en explique dans ce portrait généreux que fixe de lui le documentariste Christoph Kühn.

Pourquoi s’intéresser à Paul Nizon dont la réputation n’est plus à faire depuis longtemps? «Il nous a toujours surpris. C’est un grand philosophe de la vie», affirme le cinéaste Christoph Kühn au micro de la RTS. Et de rappeler combien l’écrivain suisse alémanique a suscité l’étonnement, par exemple en laissant tout pour aller vivre en francophonie, alors qu’il pouvait s’appuyer sur le retentissant succès obtenu en Allemagne et à Zurich par son roman Stolz (Actes Sud, 1987*). «J’étais étudiant à l’époque, précise le réalisateur. Cela m’a plu d’entendre dire que la Suisse n’est pas un pays pour l’art; qu’il faut partir.»

C’est bien ce qu’on retient souvent de cet écrivain qui, en 1977, s’est réfugié à Paris sans rien, sinon le petit appartement hérité de sa tante, dans le 18e arrondissement. Fuite et refuge dans une ville immense, où tout lui était inconnu à commencer par la langue, où nul ne nourrissait d’intérêt pour cet homme qui arpentait les rues sans relâche. «Avez-vous de la fortune?», lui a demandé un journaliste, à ce moment-là. «Non, pas d’accumulation de biens», a répondu le fugitif.

Mais Nizon est bien plus que cet apatride entièrement fidèle à ses convictions. Pour le prouver, ou le rappeler, Christoph Kühn lui confie le micro et filme un personnage alerte, à l’esprit vif, au visage souriant. Qui donc lui a dit que l’écrivain n’avait pas bon caractère? Lui en tout cas est enthousiasmé par son accueil et sa gentillesse, son ouverture et son humour.

Paul Nizon raconte une vie qui se confond avec ses romans. On réalise à quel point sa littérature se nourrit de ses expériences et de ses observations. Cela d’autant plus que le documentaire s’y attache étroitement. Des reconstitutions fidèles, par exemple celle de la «chambre alvéole» qui a servi de premier cocon, avec à la fenêtre d’en face l’homme qui ne voulait nourrir que son pigeon favori. Ou son rapport avec un clochard, reconstituée là encore jusque dans le moindre détail.

L’anecdote du clochard n’est pas anodine. Le marginal - joué un peu artificiellement par Hervé Hague - porte un reste de pli à son pantalon, il change de pardessus. Ce ne sont pas des caractéristiques de mendiants et le spectateur du film y voit un contresens. Mais pas longtemps car n’est-ce pas là, au contraire, le signe de l’identification de l’écrivain au statut de cet homme sans attaches, sans repères, enfoncé dans la totale liberté de celui qui ne possède rien? Le lecteur des romans y retrouve cette histoire dans le détail dans Dans le ventre de la baleine (Actes Sud, 1990).

Comme il retrouve dans L’Année de l’amour (Actes Sud, 1986) le sentiment intense et impossible pour Odile, lui aussi fugitivement reconstitué dans le documentaire et renforcé par des images d’archives. Cet homme qui dit que l’artiste en lui est né en voyant La Dolce Vita (Fellini, 1960) puise constamment au plus profond de lui-même la substance de ses livres. L’autobiographie ne l’intéresse pas cependant, il dit travailler à une «littérature existentielle». Et dans son alter ego le clochard, ce qu’il voit et qui lui ressemble n’est pas «la déchéance», mais «l’état de guet».

Un clou dans la tête est le titre de ce film. C’est aussi le titre d’un roman entrepris et abandonné faute d’inspiration. Cela fait une dizaine d’années que Paul Nizon n’écrit plus. Mais à 91 ans, il continue à cheminer inlassablement dans Paris où il est «devenu celui qu’il était censé être». Il marche et l’on songe à Marcher à l’écriture (Actes Sud, 1991) titre d’un autre de ses livres, recueil de conférences données à l’Université de Francfort en 1984. Marcher à l’écriture, n’est-ce pas ce qui définit le mieux à la fois sa vie et son œuvre?


* Les dates des ouvrages sont celles des traductions françaises.

Geneviève Praplan

Appréciations

Nom Notes
Geneviève Praplan 12