Les Enfants du Platzspitz

Un seul ouvrage témoigne de cette époque embarrassante pour la ville de Zurich et qui concernera l’Europe entière: le parc du Platzspitz et ses milliers de toxicomanes évoluant avec peu de tranquillité en plein milieu de la capitale économique suisse. Un récit fort excellemment porté à l’écran!

14 février 1995, les trafiquants installés depuis les années 80 au centre de Zurich sont évacués par la police. Chacun est renvoyé chez lui, à l’étranger ou dans sa commune. Mais la prise en charge au-delà de l’évacuation n’existe pas, et ce sont alors des centaines de personnes qui se retrouvent cloîtrées chez elles ou errantes dans la rue, en quête de substances. Mia, jeune Suissesse allemande, a été confrontée à ce milieu par sa mère Sandrine, et va devenir, chaque jour un peu plus, à la fois son souffre-douleur et son dernier espoir. La relation mère-fille est particulièrement houleuse. Sandrine vend la chaînette fétiche de Mia pour grapiller quelques dizaines de francs, l’envoie à sa place chercher de la poudre blanche, gît sur son lit après sa dose en attendant qu’elle lui amène sa boîte de médicaments et un verre d’eau…

À l’orée de l’adolescence, la gamine doit pourtant grandir vite tant elle est confrontée à des scènes aussi dures que les drogues ingérées par sa mère. Mia trouve refuge dans la musique, incarnée à l’écran par une sorte d’ami imaginaire qui prend la forme d’un grand gaillard à la chemise couleur colza, guitare en bandoulière. Résiliente et forte, la demoiselle oscille constamment entre le besoin de rester une enfant, et la nécessité, pour sa survie et celle de sa mère, de prendre sur elle les responsabilités de cette dernière. Symboliquement, cela passe par exemple par des chiffres magnétiques colorés collés sur le frigo pour s’amuser, mais qui dans ce contexte deviennent une façon de compter les jours d’abstinence de Sandrine, ou par une euphorique course de caddie au supermarché jusqu’à ce que la mère cache des paquets de cigarettes dans le manteau de sa fille. La drogue est alors à la fois le point de rencontre mais aussi et surtout, le point de non-retour entre Mia et sa mère.

Les articles et ressources informatives sur ce sujet difficile parlent de «scène» ouverte de la drogue, comme si ces personnes se réunissaient pour proposer un spectacle non plus réservé aux initiés dans des lieux obscurs mais offert aux passants en plein jour, au centre de la capitale économique suisse. Esthétique mais pas esthétisant, ce film suisse se démarque largement des clichés sous-entendus par ce syntagme. Les Enfants du Platzspitz empoigne un sujet de société inquiétant, témoignant d’un passé dont on se garderait bien tant il montre une version de la vie helvétique bien loin des couettes d’Heidi et des doux pâturages alpins. Mais cette réalité existe et doit être rappelée, connue, méditée. Chapeau bas donc pour ce choix thématique. Si cela continue comme ça, notre pays sera peut-être représenté aux Oscars avec un film sur le secret bancaire, qui sait…