Tenet

Affiche Tenet
Réalisé par Christopher Nolan
Titre original Tenet
Pays de production ETATS-UNIS
Année 2020
Durée
Musique Ludwig Göransson
Genre Science-fiction, Espionnage, Action
Distributeur Fox-Warner
Acteurs Robert Pattinson, Elizabeth Debicki, John David Washington
Age légal 12 ans
Age suggéré 14 ans
N° cinéfeuilles 840

Critique

Tenet est attendu à plus d’un titre. Les exploitants de salles de cinéma misent gros sur l’unique blockbuster hollywoodien de cet été alors que les cinéphiles se réjouissent de découvrir la dernière œuvre de Christopher Nolan, apprécié pour ses thrillers aux concepts originaux et stimulants. Les deux parties seront-elles satisfaites? Pas sûr…

Tenet revient de loin. Il n’était pas gagné d'avance que cette énorme production américaine - on parle de plus de 200 millions de dollars - puisse sortir alors que le «marché» cinématographique est encore tout groggy des conséquences de la crise sanitaire. Et pourtant les producteurs, confiants, ont parié sur l’opportunité d’en faire la seule grosse sortie estivale. Le film serait-il suffisamment bon et rassembleur pour que les spectateurs se déplacent en masse et bravent les risques de contamination? Oui mais non.

N’y allons pas par quatre chemins: Tenet est une œuvre radicale qui s’adresse aux fans de James Bond et de science-fiction. Alors que le cinéma regorge de références sur le voyage temporel et tous les paradoxes que cela peut engendrer, Tenet est construit autour d’un concept plutôt inédit: certains objets peuvent parcourir le temps en sens inverse. Difficile de décrire sur le papier cette idée que seul le cinéma peut vraiment illustrer. Et il faut bien tout le talent et l’expérience de Christopher Nolan pour construire cet univers sidérant. Depuis les prémices de sa filmographie, il n’a de cesse de distordre et déconstruire la temporalité dans ses films. Dans Memento, Nolan plongeait le spectateur dans la peau d’un héro amnésique en narrant une histoire à l’envers. Dans Inception, le récit se dispersait entre réalité et rêves où la perception du temps n’est pas la même. Enfin, dans Interstellar, les personnages expérimentaient les caprices de la force de gravité sur l’écoulement du temps. Tenet encapsule toutes ces obsessions et prend des airs de film somme. Le récit y est pourtant extrêmement linéaire du point de vue du protagoniste central: on y suit un agent secret chargé d’enquêter sur de mystérieuses armes semblant provenir du futur pour attaquer le passé. C’est uniquement par la forme, les idées de mise en scène et d’artifices dignes de Georges Méliès que le réalisateur parvient à construire un palindrome cinématographique tant dans l’espace que dans le temps. Embarqué dans ces montagnes russes vertigineuses, le spectateur devra s’accrocher pour saisir la finalité de ce concept capillotracté mais ô combien cinégénique. Les moins réceptifs pourraient être largués devant ce spectacle frisant parfois l’abscons.

Tenet est donc avant tout porté par sa forme. Mais qu’en est-il du fond, de ses personnages, de ses tensions dramatiques? Là encore, le spectateur risque d’être désarçonné. Au premier abord, les protagonistes et l’histoire ne sont que des ressorts pour faire fonctionner la mécanique de cet exercice de style nolanien et n’ont que peu de substance émotionnelle. La faute peut-être à un rythme extrêmement soutenu, limite assommant, qui est asséné durant 150 minutes. Il faut attendre un épilogue sobre, très réussi, pour que l’émotion pointe le bout de son nez. C’est finalement hors champ, après le générique, que les motivations des personnages, leurs tracas et leurs affects apparaissent enfin, alors que le film décante encore dans l’esprit du spectateur. C’est également en filigrane que se joue le propos hautement politique du film, avec ces générations du futur qui attaquent celles du passé afin de changer le destin de la planète. Le contenu de Tenet est bien plus riche qu’il n’en a l’air.

On peut donc saluer l’audace de mettre autant de moyens au service d’une œuvre radicale, exigeante et face à laquelle une bonne partie du public risque de rester hermétique. Qu’on adhère ou pas à l’univers de Nolan, il est réjouissant de voir que le 7e art continue de se réinventer, même dans ses sphères les plus commerciales, afin de proposer des expériences narratives inédites et ambitieuses.


Contrechamp sur TENET


Avec Tenet, Christopher Nolan réalise son film le plus nolanien, c’est-à-dire un long métrage qui se présente comme un best of de tous ses tics, et plus globalement, du pire de son cinéma.

Surfant sur un terrain très codifié, qui emprunte l’ossature scénaristique des James Bond - intrigue d’espionnage, organisation secrète présidée par un méchant russe, une demoiselle à sauver -, et reprend le brio des scènes d’action de Mission: Impossible, Nolan tente néanmoins d’y apporter sa patte grâce à un dispositif de voyages temporels, et un gimmick de narration, le reverse, soit la mise en scène de mouvements à l’envers d’objets venus du futur. L’idée est amusante - elle conditionne notamment de superbes séquences, comme celle d’une course-poursuite sur l’autoroute vue à double sens -, mais au bout du compte, il est difficile de ne pas prendre ce qui se présente comme de l’ambition pour de la prétention.

Car ce serait oublier que le réalisateur emporte ici lourdement avec lui les tropismes inhérents à son cinéma pseudo-complexe. On retrouve ainsi sa mauvaise habitude à ponctuer ses scènes de (très) longues explications qui enfument à peu près tout le monde et qui lardent considérablement son récit, un montage parfois trop serré qui rend quelques scènes illisibles (la scène d’exposition est un véritable cauchemar), des sentences si lourdes et si graves qu’elles en deviennent hilarantes, comme lors d’un échange autour de la fin du monde où la mère en détresse s’exclame: «The end of everyting. Including my son.»

Autre point intéressant: Tenet achève de nous prouver qu’a priori Nolan conçoit toujours ses films comme des défis, ou des casse-tête. Et, à la rigueur, ce n’est pas bien grave, au contraire, des œuvres entièrement élaborées comme des jeux permanents avec le spectateur ont donné naissance à de grands métrages (Seven, The Usual Suspects). Sauf qu’avec le temps, et après quelques parties plus ou moins réussies (Memento, Le Prestige, Inception, Interstellar), Nolan semble s’être lassé de nous. L’aspect horizontal du jeu ne l’intéresse définitivement plus. Ce qu’il vise désormais, c’est la verticalité. Asséner plutôt qu’inviter. Comme si le cinéaste attendait de nous une forme de soumission, mieux, une forme d’extase de la soumission pour qu’on dévore tout ce qui nous est poussivement expliqué tout en abandonnant toutes nos exigences de compréhension: «Don’t try to understand. Feel it» ou encore «No answer: it’s a paradox» sont autant de répliques qui sonnent en réalité comme des aveux.

Pour qui acceptera le contrat incrédule imposé par une démarche quelque peu nombriliste, et qui passera outre un ressort d’écriture fumeux, Tenet saura divertir, amuser, voire même passionner. Car quoi qu’on en dise, cette nouvelle réalisation de Christopher Nolan réserve quelques scènes brillantes et de belles trouvailles visuelles. En un mot: Tenet est un bon divertissement, mais un très mauvais film.


Kevin Pereira

Blaise Petitpierre

Appréciations

Nom Notes
Blaise Petitpierre 18
Kevin Pereira 7
Georges Blanc 10
Alexandre Vouilloz 15
Marvin Ancian 12