Belle Uttara (La)

Affiche Belle Uttara (La)
Réalisé par Buddhadeb Dasgupta
Pays de production
Genre
Acteurs Jennifer Peedom
N° cinéfeuilles 427

Critique

"Il est rare qu'un long métrage indien parvienne jusque sur nos écrans. LA BELLE UTTARA est un film hors du commun, brutal et touchant à la fois, mais qui reste en prise directe avec les réalités du monde d'aujourd'hui.

Présenté à Venise en 2000 et au dernier Festival de Fribourg, le film de Buddhadeb Dasgupta s'attache à suivre différentes trajectoires humaines. D'abord celles de Balaram et Nemai, deux gardes-barrières d'une petite gare perdue au fin fond du Bengale, qui passent le plus clair de leur temps à s'entraîner à la lutte. Celle du pasteur du village qui a adopté un jeune orphelin hindou et qui tente de faire vivre en bon voisinage tous les gens du village. Celles d'une communauté de nains qui vivent un peu en marge de la population locale. Celles aussi de quelques fondamentalistes musulmans bien décidés à se débarrasser du pasteur. Celles enfin d'un groupe de danseurs masqués qui circulent dans la campagne et que l'on croise sur leur route.

Un jour Balaram décide d'épouser Uttara, une jeune femme sensible et belle. Son ami Nemai en prend ombrage et leurs luttes, de sportives qu'elles étaient, se feront plus agressives. L'ambiance paisible des lieux va se dégrader et malgré tous ses efforts Uttara ne pourra pas, à elle seule, barrer la route à la violence des fondamentalistes. Quant aux deux lutteurs, ils préféreront rester en dehors des conflits, indifférents au monde qui les entoure.

LA BELLE UTTARA est une fable sur notre époque, sur l'intolérance des uns et l'indifférence des autres. Le cinéaste indien semble dire que le travail du pasteur est voué à l'échec et que les forces occultes et destructrices auront raison du pays. Seule Uttara, avec le pasteur, tente de résister, et s'il faut chercher des signes d'espoir c'est de ce côté-là qu'on se tournera, ou du côté de la communauté des nains qui, avec une forme d'innocence et dans le respect d'autrui, savent vivre et exprimer leur compassion.

Dans LA BELLE UTTARA l'idée de solitude est constamment présente. Les deux lutteurs essaient bien de tromper ce sentiment par des jeux sportifs, mais leur simplicité d'esprit - ou leur égoïsme? - ne leur permet pas de porter leur regard au-delà d'eux-mêmes. Le pasteur aussi reste isolé, même si sa vocation l'amène à entrer en contact avec beaucoup de gens. Tous les personnages du film ont de la difficulté à prendre et à assumer leur place dans ce petit monde déchiré.

Une autre notion centrale du film est celle de la souffrance de l'innocent. Rani (une lépreuse), Uttara et le ""chef"" des nains seront victimes de la violence des autres. Seuls semblent échapper au fanatisme et à la mort ceux qui vivent en marge de la société (les nains et les saltimbanques masqués). La seule issue se situerait-elle dans une forme d'exil?

Le propos est donc pessimiste, mais le film, par son approche avant tout poétique, est très beau. Prises de vues touchant à l'onirisme, atmosphère sonore subtile, utilisation de l'espace surprenante, cadrages de paysages naturels, rythme (très) lent ponctué de passages musicaux souvent étranges, tout le film - si l'on veut bien faire l'effort d'y entrer - s'inscrit dans un espace à mi-chemin entre le ciel et la terre, entre le réel et l'imaginaire, dans un mélange de tension et de douceur.

Allégorie et message universels - le fanatisme touche aussi l'Occident, ne l'oublions pas - LA BELLE UTTARA doit être lu comme un plaidoyer pour la tolérance.





Buddhadeb Dasgupta



Né en 1944, Duddhadeb Dasgupta s'est fait un nom comme cinéaste, écrivain et poète. Depuis les années soixante, il a travaillé comme documentariste et pour la télévision. Il fait partie de ces créateurs de films indiens qui s'éloignent de la production courante et qui cherchent à porter leur réflexion sur la vie, sur une forme d'unité avec l'univers, plaidant pour la tolérance et l'harmonie. En Europe, il s'est fait connaître avec Bagh bahadur (Tigerman) et Charachar (L'Abri de leurs ailes). Son œuvre cinématographique comporte une quinzaine de films."

Antoine Rochat