Impairs et fils

Affiche Impairs et fils
Réalisé par Jeshua Dreyfus
Pays de production Suisse
Année 2018
Durée
Musique Michael Künstle
Genre Drame
Distributeur Vinca Film
Acteurs Dani Levy, Dimitri Stapfer
Age légal 6 ans
Age suggéré 14 ans
N° cinéfeuilles 817

Critique

La fragilité, la dépendance à la mère, la compétitivité avec le père: malgré ses coutures œdipiennes, ce deuxième long métrage de Jeshua Dreyfus n’atteint jamais la majesté de son héritage.

Le jour des 60 ans de son père, Simon, un jeune dessinateur trentenaire, se rend à la fête. Sur place, il remarque très vite que son père entretient, avec sa secrétaire, Sonja, une énième relation adultère. Désireuse de sauver son couple, Agnès, la mère de Simon, lui demande de la remplacer au travail afin qu’elle puisse partir en vacances avec son mari. Mais pendant l’absence de ses parents, Simon s’éprend lascivement de Sonja, l’amante de son père.

Composé, dans un premier temps, d’un subtil mélange d’inventivité dans l’exécution et d’aspérités bienvenues dans la narration, le film, à notre plus grand regret, sombre progressivement dans un traitement d’une grossièreté affligeante. Et c’est dommage! Car, jamais dans mon expérience de spectateur, un film n’aura été aussi inégal.

Après un début ô combien réjouissant - on remarque notamment un sens aiguisé de l’ellipse, qui réclame au spectateur de combler les trous, de nommer les non-dits, et qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler le passionnant Caché de Michael Haneke - le récit se vautre, tant dans sa forme que dans sa narration, dans son matériau freudien.

Exemples. Première partie: ensemble, dans le même plan, Simon et sa mère. La situation est gagnée par l’agitation. La mère quitte le cadre. La caméra l’accompagne. Résultat: en brisant l’unité d’un plan immobile, la force centrifuge exercée par la mère traduit dans un même geste l’intériorité dégénérative de Simon. Ses ruptures familiale et intérieure. Ruptures par ailleurs amplifiées par le dispositif identificateur mis en place durant tout le film: amorce sur le personnage de Simon, vision subjective, auricularisation interne1, jeu avec les focales, ou encore dessins qui retranscrivent son état émotif, processus déjà aperçu dans At Eternity’s Gate plus tôt dans l’année. Deuxième partie: scène de sexe entre Simon et Sonja. Fixation de la caméra sur Simon qui embrasse le sein de Sonja. Encore et encore. Résultat: la transposition abjecte du désir libidinal et inconscient d’un «bébé» (le terme utilisé dans le film) vraisemblablement resté bloqué à un stade psycho-affectif infantile. Ce que la première partie offrait en mise en scène et subtilité, la deuxième l’évacue à grands coups de marteau.

En un mot, le visionnement de ce Impairs et fils s’avère donc plus fatigant que désagréable. Plus regrettable que foncièrement mauvais. Car lorsqu’un film débute avec autant d’ingéniosité, il est tout à fait normal que les attentes s’ensuivent. Sauf qu’en bafouant tout ce qu’il construisait magnifiquement avec cette virtuosité discrète qui caractérise les plus grands, le réalisateur condamne son propre film. Et puisque le cinéma n’est pas uniquement l’apanage des plasticiens, Jeshua Dreyfus devrait peut-être songer à plus réfléchir et moins s’admirer.


1  Ce terme technique décrit le fait d’entendre ce que seul le personnage entend.

Kevin Pereira

Appréciations

Nom Notes
Kevin Pereira 12