Sibel

Affiche Sibel
Réalisé par Çağla Zencirci, Guillaume Giovanetti
Titre original Sibel
Pays de production Allemagne, France, Turquie, Luxembourg
Année 2018
Durée
Musique Bassel Hallak
Genre Drame
Distributeur trigon-film
Acteurs Damla Sönmez, Emin Gürsoy, Erkan Kolçak Köstendil, Elit İşcan, Meral Çetinkaya, Gülcin Kültür Şahin
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 807
Bande annonce (Allociné)

Critique

Il y a d’emblée la beauté de la nature et son authenticité. Mais en cet endroit magnifique, les traditions et les superstitions entretiennent l’exclusion. Sibel révèle l’âpreté de ce paradoxe.
C’est un village accroché aux montagnes qui plongent dans la mer Noire. On y cultive le thé, la canne à sucre. Alors que se sont imposés les téléphones cellulaires, les voitures à la mode, la télévision et ses séries étrangères, les femmes résistent à la modernité par une triste sottise. Sibel (Damla Sönmez) les aide à la récolte, mais n’est pas aimée. Muette, elle les effraie car son handicap porte malheur. Son père (Emin Gürsoy) est veuf, il protège sa fille aînée et s’exprime avec elle par l’intermédiaire d’un dialecte sifflé archaïque, propre au lieu. Afin d’être acceptée par la communauté, Sibel veut tuer le loup qui hante la région. Mais à défaut du fauve, elle découvre un homme blessé qui se cache.

Respectivement turque et français, Çagla Zencirci et Guillaume Giovanetti forment un couple dans la vie comme au cinéma. Sibel est leur troisième long métrage. Apprenant l’existence d’une langue sifflée, pratiquée dans une région du nord-est turc, ils ont voulu en savoir plus. Pour empêcher cette expression de s’éteindre «les villageois l’ont enseignée à l’école, donc les enfants la pratiquent. Dès que les téléphones ne captent plus en montagne, on commence à siffler. Le son se diffuse beaucoup mieux. La langue sifflée n’est pas un code comme le morse mais une transcription de la langue turque en syllabes et en sons.»

Les cinéastes en ont fait la base de leur film. Toutefois, si ce particularisme délimite la géographie de leur histoire, elle n’y réduit pas le personnage central, Sibel, la jeune fille rejetée. Les réalisateurs puisent dans une tradition, déterminent un décor, notent des coutumes, mais ils racontent un drame universel. Tout aussi universelle est l’aventure de l’homme blessé (Erkan Kolçak Köstendil), inconnu, donc dangereux. La peur du changement, l’intelligence bornée par les superstitions, la méchanceté et la bêtise en somme ne connaissent pas de frontière.

Dans ce contexte, le scénario porte la relation entre Sibel et son père comme une belle lumière. Discret, attentif, ce père a l’intuition de ce qui est juste. Il voit ce qu’une tradition aveugle peut engendrer de malsain. Loin de tout autoritarisme, sensible aux rebuffades que subit sa fille, il se cherche une position tenable entre son rôle de chef de village et celui de chef de famille.

Les cinéastes éclairent tous ces sujets avec tact, par une mise en scène soignée aux ellipses suggestives. La direction d’acteurs fait le reste; travaillées au plus près, les expressions laissent croire adroitement à une spontanéité que confirment plusieurs comédiens amateurs. Rendus par des prises de vue magnifiques, les paysages semblent d’autant plus vastes que la mentalité est étroite.

Il n’empêche que, sous la caméra vigilante des réalisateurs, la communauté échappe à une interprétation stéréotypée des mentalités. Ici, rien n’est donné, tout est observé avant d’être décrit dans la nuance. «Nous pensons qu’il est de notre devoir de mettre en scène des personnages éloignés de représentations sommaires ou unidirectionnelles», estiment Giovanetti et Zencirci. Autrement dit, des personnages véridiques; c’est la raison pour laquelle leur film touche autant.

Geneviève Praplan

Appréciations

Nom Notes
Geneviève Praplan 18
Antoine Rochat 16