Trois visages

Affiche Trois visages
Réalisé par Jafar Panahi
Titre original Se rokh
Pays de production Iran
Année 2018
Durée
Genre Drame
Distributeur Filmcoopi
Acteurs Behnaz Jafari, Jafar Panahi, Marziyeh Rezaei, Maedeh Erteghaei, Narges Delaram, Fatemeh Ismaeilnejad
Age légal 12 ans
Age suggéré 14 ans
N° cinéfeuilles 794
Bande annonce (Allociné)

Critique

L’évolution du français a fait du verbe créer un mot à tout faire; on crée des bâtiments, des lois, des routes, des évêques, des emplois… Jafar Panahi replace le terme dans son domaine, l’art. Il crée au sens premier, avec pratiquement rien puisque tourner lui est défendu, et son œuvre s’impose film après film.

Le cinéaste iranien, né à Téhéran en 1960, a vu son travail contesté dès le deuxième long métrage. En 2010, le gouvernement islamique l’a condamné à six ans de prison et vingt ans pendant lesquels il n’a ni le droit de réaliser un nouveau film, ni celui de quitter son pays. Cependant, les festivals du monde entier le récompensent. Cette année, à Cannes, Trois visages a obtenu le Prix du scénario ex aequo.
Jafar Panahi crée. Ses histoires ne semblent tenir qu’à un fil. Dans Le Ballon blanc (1995), une enfant perd l’argent qu’elle a reçu pour s’acheter un poisson rouge. Dans Hors jeu (2006), des filles se déguisent en garçon pour assister à un match de football. Dans Taxi Téhéran (2015), un conducteur de taxi charge ses clients et les amène à destination. Les sujets sont ténus, ils réussissent à passionner à chaque fois en ouvrant une large porte humaniste sur la société iranienne.
Trois visages commence par une image en contre-plongée: une jeune fille (Marziyeh Rezaei) crie son désespoir, personne ne l’a écoutée, personne ne l’a aidée. Son téléphone photographie la corde qui lui enserre le coup, puis c’est le choc et la vidéo s’arrête. Le message est arrivé chez une femme qui n’y comprend rien; elle veut découvrir ce qui s’est réellement passé.
Longtemps, le visage tourmenté de cette femme est seul à l’écran, passagère d’une voiture dont on entend, seulement, le conducteur. Cette femme est, dans le film et dans la réalité, la célèbre actrice de série Behnaz Jafari. Elle a appelé à son aide le réalisateur de cinéma Jafar Panahi, dont le visage n’apparaît qu’après une vingtaine de minutes. Tous deux ont abandonné leur travail et pris la route pour aller jusqu’au village où vit la jeune fille de la vidéo.
La voiture semble limiter le tournage; elle illustre surtout la claustration. Panahi sort peu du véhicule, y passe même les nuits du voyage. Réalisateur et acteur, interprétant son propre personnage à l’instar de l’actrice qui l’accompagne, écoutant par téléphone sa mère le supplier de ne plus réaliser de films, il place son histoire sur le fil menu qui sépare la fiction de la réalité.
Les moyens réduits le servent à merveille; les contraintes et le manque de ressources l’inspirent. Ainsi, le cadre limité de la voiture resserre-t-il l’attention sur le visage de l’actrice, ses sentiments contrastés - la peur, la colère, le chagrin -, ses tentatives d’interpréter la vidéo reçue.
La circulation difficile dans le Nord-Ouest iranien, les villages de montagne (ceux des parents et des grands-parents du réalisateur) documentent une réalité souvent ignorée au profit de celle des grandes villes. Cette société-là est faite de générations qui se déchirent, les unes défendant la tradition, les autres, celles des jeunes filles surtout, assoiffées d’éducation et de modernisme.
Ici, les femmes n’ont rien à dire et les artistes sont «des saltimbanques» abandonnés de Dieu. En témoignent les trois visages évoqués par le titre du film. Mais il y a un monde entre ces trois femmes et ce qu’en pensent les hommes de ces visages reculés. Comme il y a un monde entre les habitants de ces villages et ceux des villes.
Panahi attrape le quotidien tel qu’il est, avec son humour et ses tragédies. Parce qu’avec son talent, le présenter objectivement suffit à démontrer l’enfermement des esprits et la difficulté d’y pressentir un avenir.

Geneviève Praplan


Le cinéaste iranien poursuit clandestinement son travail dans son propre pays, tant il aspire à témoigner de ce que vit la population, de ses attentes, du possible et de l’impossible. Au volant de sa voiture – tout comme dans Taxi Téhéran –, il sillonne la campagne en compagnie d’une actrice iranienne, Jafari  Bahnaz (qui interprète son propre rôle). Cette dernière vient de recevoir la vidéo d’une jeune femme désireuse de devenir comédienne et se suicidant en direct, suite au refus de son entourage et de toute absence de soutien. Jafari  Bahnaz doute et sollicite l’avis du réalisateur. Document véritable ? Mise en scène destinée à capter son attention ? L’actrice et le cinéaste mènent l’enquête et remontent la piste jusqu’à un village bordant la frontière turque. C’est l’occasion d’évaluer les aspirations des jeunes adultes, tout autant que leur réception familiale et communautaire. Avec des moyens dérisoires, Panahi arrive à construire solidement une histoire tenant en haleine et révélatrice des paradoxes qu’offre le quotidien (rural) iranien. Si l’on retiendra la liberté des villageois quant à leurs règles locales de circulation et quelques plans magnifiques dont, en silhouette, celui des femmes dansant à contrejour, on n’oubliera pas non plus le don d’un prépuce au cinéaste pour obtenir une faveur ! Panahi porte à son pays un amour que la beauté de ses images atteste. Rappelons que ce cinéaste courageux, incapable de quitter son pays où il ne pourrait retourner, est aujourd’hui tout à la fois révéré par les siens et surveillé étroitement par les autorités politiques. Heureusement la création se joue (presque) de toutes les frontières.

Serge Molla

Appréciations

Nom Notes
Geneviève Praplan 18
Serge Molla 15
Antoine Rochat 16
Sabrina Schwob 17
Georges Blanc 14