Marie Madeleine

Plutôt que de broder abondamment à partir des quelques éléments que livre le Nouveau Testament, le film de Garth Davis tente de partager le regard d’une femme sur Jésus.

Et ce n’est pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit de Marie Madeleine, dont on dit qu’elle fût - et dans le film, sa famille l’en accuse - possédée et qui est l’un des premiers témoins de la résurrection. Ainsi ce film s’inscrit-il à la suite de la réhabilitation par le Vatican en 2016 de cette femme que la tradition chrétienne taxa des siècles durant de prostituée.
Marie Madeleine n’est pas mariée lorsque débute son histoire, mais pourrait l’être tout prochainement. En attendant, elle exerce son don en venant en aide à une femme en gésine et en manifestant une écoute peu commune. Sentant qu’elle n’est pas faite pour une vie de famille et malgré l’opprobre, elle va quitter les siens pour suivre ce «guérisseur» qui invite ses auditeurs à répondre à leur vocation personnelle. Elle se met donc en route avec les douze disciples et suit Jésus sans être sûre de quoi que ce soit, avant tout pour mieux discerner le mouvement et le sens de sa propre existence. Le petit groupe assistera à des gestes salvateurs de Jésus, entendra l’une ou l’autre de ses paroles et tentera d’interpréter en quoi consiste sa mission. Jérusalem au temps de Pâques est l’étape ultime, avec l’arrestation et l’incompréhensible crucifixion qui réduit à néant l’attente des disciples et laisse dans un désarroi total Marie Madeleine et Marie, mère de Jésus, qui a rejoint son fils dans la ville sainte.
Une grande place est donnée au décor naturel du sud de l’Italie, dans la vieille ville de Matera, et dans l’arrière-pays de Puglia, pour représenter Cana et Jérusalem. L’autre grosse partie du film a été tournée en Sicile, dans de larges espaces qui incitent les marcheurs à choisir leur sentier. Pas de grande reconstitution historique destinée à montrer la vérité sur grand écran. Ici tout se joue dans l’intuition d’une femme qui ose répondre à un élan intérieur. Ce Jésus, elle renonce à tout pour le suivre. Elle l’écoute très attentivement, l’assiste comme un disciple lorsqu’il s’agit de baptiser des femmes et s’interroge sur la libération qu’il opère. Physique seulement, morale, politique? C’est en tout cas ce qu’espère Judas (Tahar Rahim), prêt à forcer son maître à se dévoiler: «Tu dois commencer. C’est le bon moment!»
Joaquin Phoenix, qui campe Jésus, propose une interprétation sobre, et ce d’autant plus que ses paroles ne font guère entendre des versets. Ainsi interroge-t-il un homme qui ne veut pardonner: « Comment vis-tu la haine dans ton cœur?» Et bien souvent, le réalisateur montre son personnage s’éloigner des siens, aller à l’écart pour prier, soulignant ainsi une dimension fréquente dans les Evangiles, plus riche de sens qu’il n’y paraît.
Cette réalisation n’offre donc pas une nouvelle version de Jésus, mais permet de donner à voir un regard parmi d’autres sur ce prédicateur itinérant, capable même de défier la mort pour son ami Lazare. Ici ou là, le script d’Helen Edmundson, auteure de théâtre, prend quelque liberté avec les versions évangéliques (par exemple, Jésus ne s’est, semble-t-il, pas baptisé lui-même ni n’est apparu à deux reprises à Marie), mais cela est sans importance, car la sobriété du jeu des acteurs se couple bien avec celle des dialogues, qui n’ont rien de catéchétique. Aussi, lorsque l’on retrouve en finale un plan étonnant où Marie est plongée dans la mer, le spectateur se voit invité à songer à son propre désir que plus rien ne pèse et de répondre à son propre appel.