Lucky

«Avec moi, la cigarette a raté son coup», ricane Lucky, le vieux cow-boy au visage émacié et bougon qu’interprète, cigarette au bec, Harry Dean Stanton, 90 ans, acteur inoubliable de Paris, Texas de Wim Wenders. Lucky fume en effet comme un pompier, se lève à midi, se rase, fait trois étirements en sous-vêtements puis enfile ses bottes de cow-boy pour aller boire un café dans un diner d’une bourgade perdue dans une région désertique de l’Arizona, plantée de cactus géants qui ressemblent à des candélabres; là il fait des mots croisés en lançant au patron «Tu n’es rien!» Celui-ci lui retourne aussitôt le compliment. L’après-midi, il suit des jeux télévisés et se moque de l’inculture des candidats. La routine d’un vieux solitaire rebelle qui se croit invincible et plus malin que les autres. Il va pourtant devoir regarder la vieillesse en face après avoir eu un malaise. La réalité qui pour lui n’était qu’une chose, lui saute à la figure. L’échéance dernière qu’il a toujours occultée se rapproche. Sa prise de conscience se fait à coups de petits riens.

John Carroll Lynch s’attache au physique et au visage ravagé du vieil acteur, qui se montre tel qu’il est, face à la caméra. Ne joue-t-il pas en fin de compte son propre rôle? Ce premier long métrage de John Carroll Lynch est une réflexion douce-amère et touchante sur la vieillesse, sur la peur de la mort. La crise existentielle tardive du vieil homme nous touche. On n’est pas près d’oublier le visage creusé, raviné de Harry Dean Stanton. Et si l’on n’est plus tout jeune, on ne peut s’empêcher de se poser deux ou trois questions sur sa propre existence, comme le fait enfin le vieil homme, et sur sa propre finitude.