Innocence of Memories. Le musée d’Orhan Pamuk et Istanbul

Affiche Innocence of Memories. Le musée d’Orhan Pamuk et Istanbul
Réalisé par Grant Gee
Titre original Innocence of Memories: Ohran Pamuk's Museum and Istanbul
Pays de production Turquie
Année 2015
Durée
Genre Docu-fiction
Distributeur trigonfilm
Acteurs Pandora Colin, Mehmet Ergen, Ara Güler, Süleyman Fidaye, Türkan Soray, Dursun Saka, Alparslan Bulut
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 754

Critique

Ni fiction ni documentaire, ce film réveille la mémoire d’un roman qui certainement n’a pas encore été lu. Et tout en invitant à une visite d’un musée très particulier.

En 2006, Orhan Pamuk, l’auteur  du Livre noir, Mon nom est rouge, de Neige, se voit décerner le prix Nobel de littérature et décide de réaliser et d’ouvrir avec l’argent reçu un musée unique au monde, le Musée de l’innocence. Il part pour cela de son roman éponyme qui raconte une histoire d’amour passionnelle et malheureuse entre Kemal (31 ans) et Füsun 18 ans), une lointaine cousine. Deux mois durant leur amour sera dévorant jusqu’à ce que Füsun disparaisse en apprenant les fiançailles de Kemal. Dix ans plus tard, ils se retrouvent brièvement avant une issue tragique. Au cœur du récit, c’est Kemal qui a demandé à l’écrivain turc de raconter leur histoire et qui au cours des années a collectionné toutes les traces qui pouvaient le relier à Füsun.  Ainsi de très nombreux objets, qui appartenaient à la jeune femme ou qu’elle toucha, constituent peu à peu une  étonnante collection.

Aujourd’hui, à Istanbul, ce fameux Musée de l’innocence existe. Prix 2014 du musée européen de l’année, il se situe dans la maison même où se retrouvaient Füsun et Kemal. Ainsi, à peine le seuil franchi, le visiteur ne sait plus s’il pénètre dans un lieu véritable de mémoire ou dans une projection littéraire, d'autant plus que Kemal et Füsun lui apparaissent. Sont exposés par exemple les 4213 mégots de cigarettes de Füsun marqués parfois de rouge à lèvres et recueillis par Kemal, plusieurs peignes, tubes de rouge à lèvres, la boucle d’oreille perdue par Füsun lors de leur première rencontre intime… Mais  ce sont aussi moult objets du quotidien, services, tickets, photographies noir-blanc de la ville dans les années 70’, extrait de films visionnés ensemble, carte d’Istanbul sur laquelle Kemal a indiqué les endroits à éviter pour ne pas raviver la douleur de son amour perdu.

Grant Gee a construit son film avec Orhan Pamuk, auteur du texte de narration. L’écrivain apparaît dans son appartement au début et à la fin du film et à plusieurs reprises, à travers une interview, sur un écran tv au détour d’une rue, dans un établissement. Pour ne pas illustrer le roman, le réalisateur rend son spectateur visiteur du Musée de l’innocence, tout en le faisant déambuler dans la ville, le plus souvent de nuit, lorsqu’elle est la plus belle, et ce avec la complicité d’un pilote de ferry, d’un chauffeur de taxi, d’un chiffonnier, de l’actrice Dursun Saka  ou du photographe Ara Güler dont le travail raconte à lui tout seul le destin récent de cette ville.

Innocence of Memories est en quelque sorte une version filmique du Je me souviens de Georges Perec, une œuvre qui permet de débusquer l’extraordinaire puissance de la mémoire qui non seulement fait remonter les souvenirs, mais également les crée et les organise à sa convenance. Tel fait, tel amour, tel parole, tel silence a-t-il vraiment été vécu parce que quelqu’un s’en rappelle? Quel sont respectivement les statuts de la réalité et de la fiction? L’histoire de Kemal et Füsun n’est-elle que le fruit de l’imagination d’un romancier ? N’est-elle pas bien davantage, tant la trame et chaque fibre qui la compose reprennent de manière détournée, transposée, des fils d’existences bien réelles ?Où commence la fiction, où s’arrête le réel? Ce documentaire-fiction ne répond pas à toutes ces questions qui hantent la littérature et imprègnent ici chaque plan dont le dernier, très beau, qui s’attarde sur une spirale, comme ultime allusion à une boucle d’oreille ou au temps qui s’étire…  Littérature et cinéma ont rarement fait si bon ménage.

Serge Molla

Appréciations

Nom Notes
Serge Molla 18