Etreinte du serpent (L')

Affiche Etreinte du serpent (L')
Réalisé par Ciro Guerra
Titre original El Abrazo de la Serpiente
Pays de production Colombie, Vénézuela, Argentine
Année 2015
Durée
Musique Nascuy Linares
Genre Aventure, Drame
Distributeur trigonfilm
Acteurs Jan Bijvoet, Brionne Davis, Nilbio Torres, Antonio Bolivar, Yauenkü Migue
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 737
Bande annonce (Allociné)

Critique

A quarante années de distance, deux explorateurs s’enfoncent dans la jungle amazonienne. Ce sont l’ethnologue allemand Theodor Koch-Grunberg, dont le périple date de 1909, et le biologiste américain Richard Evans Schultes, parti en 1940 sur les traces de son prédécesseur jamais revenu. Tous deux sont en quête de la même fleur rare, la yakruna, supposée avoir des vertus médicinales. Ils défient la forêt et remontent le fleuve, guidés, à quelques décennies de distance, par le même chaman. C’est Karamate, ultime survivant de son peuple massacré par quelques Blancs avides d’or ou de caoutchouc et que des années de solitude ont transformé en chullachaqui, un humain dépourvu de souvenirs et d'émotions.

Les deux expéditions, tout à la fois analogues et contraires, en s’entrecroisant  dans le récit, révèlent progressivement les blessures profondes infligées par le colonisateur, aveuglé par son désir d’enrichissement personnel ou de prosélytisme religieux. Sous prétexte de développement économique ou de salut des âmes, connaissances naturelles, langues et cultures sont éradiquées. Serait-ce que l’indien et le Blanc se voient condamnés à échouer dans la construction d’une relation ? Tout semble l’indiquer, à l’exception d’un moment rare de communion où l’un l’autre sont à l’écoute de la création, mais hélas non pas la nature qui les tolère, mais la Création de Haydn grésillant sur un gramophone.

Tournée en noir et blanc,cette réalisation a la beauté des clichés du photographe Sebastião Salgado (voir son recueil Genesis publié  en 2013) qui respecte son sujet tout en en révélant l’essentiel. Dans le contexte amazonien, le personnage principal, celui qui dicte sa loi, c’est la nature, au point l’objet – quel qu’il soit – perd vite de la valeur et ne mérite pas le respect que lui confère le Blanc, d’autant plus que ce dernier ne se montre pas prêt à partager son savoir. L’épisode d’une boussole que ce dernier refuse d’échanger en dit long sur le regard que le scientifique pose sur ses interlocuteurs et sur la jungle qu’il s’agit finalement de mater pour  pouvoir l’exploiter demain. A l’inverse, Karamate incarne un homme respectueux d’un environnement dont il dépend, qui le dépasse et qu’il saisit par des canaux qui échappent totalement aux scientifiques qu’il accompagne.

Ciro Guerra, réalisateur de L’Ombre de Bogota,  a convoqué Mission de Roland Joffé et Fitzcaraldo de Werner Herzog, tout comme il s’est souvenu du colonel Kurz d’Apocalypse Now et de son emprise meurtrière. L’absence de héros souligne ici le dilemme : valeur et prix de la civilisation ne sont pas synonymes. Ce film porte donc bien son titre,en évoquant le fleuve amazonien qui serpente inlassablement, mais qui étreint jusqu’à l’étouffement. Toutefois, au final, celui qui manque d’air au point d’avoir des visions (seule séquence en couleur), c’est peut-être le spectateur blanc, troublé, voire culpabilisé, par l’histoire que lui rappelle sa couleur de peau et ému par tant beauté de paysages indomptés. Décidément les tropiques sont bien tristes.

Serge Molla

Appréciations

Nom Notes
Serge Molla 17
Georges Blanc 15
Anne-Béatrice Schwab 15