«Je ne crois pas à la fatalité ni au destin», dit en guise de prologue la voix off de Walter Faber, dont on aperçoit seulement l’ombre projetée dans un désert mexicain. Or la fatalité - ou le destin - rejoindra le célèbre personnage du roman de Max Frisch à la fin de cette lecture cinématographique qu’a réalisée le cinéaste suisse Richard Dindo (34 films à son actif), lorsque Faber découvrira la véritable identité de Sabeth (Daphné Baiwir), la jeune femme rousse qu’il a rencontrée sur un bateau revenant d’Amérique, retrouvée ensuite à Paris, puis emmenée dans une longue promenade amoureuse qui s’achèvera tragiquement en Grèce. Lui, Faber, on ne le verra jamais à l’écran. C’est sa voix intérieure qui sert de fil conducteur au film. Le cinéaste s’attarde longuement sur des plans fixes pleins de poésie qui font parfois penser à des tableaux de peintre.
Amoureux de l’image mais aussi du verbe, le cinéaste suisse a voulu créer, comme il l’explique lui-même, un rapport dialectique entre les images et les paroles. «Les images montrent ce que les paroles ne savent pas dire et celles-ci disent ce que les images ne peuvent pas montrer.» Au spectateur de déchiffrer les visages des trois femmes que Faber a aimées, Ivy (Amanda Barron), la new-yorkaise chic qui aime manger du homard avec son amoureux, Hanna (Marthe Keller), sa fiancée perdue vingt ans auparavant, et Sabeth, (Daphné Baiwir), jeune femme à peine sortie de l’adolescence, dont il tombe amoureux. Au spectateur de deviner les émotions et les sentiments de ces personnages à travers les gros plans muets de leurs visages qu’il nous donne à voir. Le cinéaste fait confiance à l’imagination du spectateur et le laisse interpréter à sa façon l’énigme de ces trois figures féminines jouées avec une remarquable sensibilité à fleur de peau par les trois comédiennes. Une mention toute particulière pour la plus jeune, Daphné Baiwir, qui irradie le film. Pas de dialogue, pas d’action, presque pas de mouvements, le film se veut contemplatif, introspectif, presque immobile. Une ode au texte de Max Frisch, bien loin du film de Volker Schlöndorff sorti en 1991.