L'expérience Blocher

Affiche L'expérience Blocher
Réalisé par Jean-Stéphane Bron
Pays de production France/Suisse
Année 2013
Durée
Genre Documentaire
Distributeur frenetic
Acteurs Jennifer Peedom
Age légal 10 ans
Age suggéré 12 ans
N° cinéfeuilles 689

Critique

On sait l'encre et la salive qu'a fait couler L'expérience Blocher avant sa première à Locarno: ô horreur, que la Confédération ait subventionné un film sur un tribun populiste honni par la bien-pensance!... Polémique autour d'un politicien qui l'a suscitée maintes fois et qui s'en est servi comme arme. Jean-Stéphane Bron, lui, a choisi une approche minutieuse, «avec l'envie de toucher une part de nous-mêmes, de notre inconscient collectif, alors que partout, sur cette Europe en crise, se lève le vent des nationalismes.»

Le tournage s'est étendu d'août 2011 à janvier 2013, sur plus de soixante jours. Le montage a duré sept mois, répartis sur une année. En automne 2011, l'ancien conseiller fédéral Christoph Blocher est en campagne pour les élections fédérales et sillonne le pays tout entier: il s'agit de faire triompher l'UDC et de gagner encore des sièges supplémentaires. Jean-Stéphane Bron a obtenu du candidat de l'accompagner dans sa voiture qui lui tient lieu de quartier général ambulant. Surprise, le bureau roulant n'est pas une grosse limousine étoilée mais une berline à quatre anneaux (avec sièges habillés de cuir, tout de même...). Assis côte à côte, Blocher et sa femme Silvia, présence discrète mais constante, la main souvent posée sur la sienne. Le cinéaste converse avec le leader politique le plus haï et le plus admiré de Suisse; par sa voix off, il commente ce qu'il filme en immersion, des images d'archives et des séquences mises en scène.
Lors d'un premier contact, Blocher a déclaré à Bron, les yeux dans les yeux: «Je ne me connais pas, je ne sais pas qui je suis. Je ne m'observe jamais, je suis un homme d'action. Pourquoi je suis comme je suis, je ne le sais pas, mais ça m'intéresse de le savoir. Comme c'est vous qui faites le film, je ne peux qu'espérer que vous le ferez avec honnêteté.» Mission accomplie à nos yeux: le documentaire est un film intelligent qui laisse le spectateur se situer par rapport à un personnage fascinant, quoi qu'on dise (en allemand, on pourrait dire «schaurig schön», c'est-à-dire horriblement beau comme un monstre à la fois attirant et repoussant...). On est sous le signe de la confiance et non de la complicité (celle qui finit par engluer correspondants parlementaires et politiciens...).
Quand bien même le jeune Blocher, fils (parmi dix enfants) de pasteur, a vécu les quinze premières années de sa vie dans une cure où Carl Gustav Jung a passé les cinq premières de la sienne, il ne semble donc pas avoir été poussé à l'introspection. C'est un homme d'instinct et d'action. Après l'école obligatoire, il a absolument voulu faire un apprentissage de paysan, rêvant de travailler la terre - mais comme il n'a pas de domaine, il change d'orientation. On ne va pas entrer dans les détails de sa success story qui le voit devenir colonel, patron et propriétaire d'une usine chimique florissante dans les Grisons (avec le château de Rhäzüns en prime), chef d'un parti poids lourd, conseiller fédéral... Ce qui frappe dans le film, c'est l'aspect Janus de l'homme: d'un côté le politicien démagogue et familier, de l'autre le solitaire planté devant ou dans sa villa d'une splendeur glacée, écoutant de la musique ou contemplant sa collection de tableaux (qui ne compte pas que les fameux Anker, mais aussi des Hodler et autres pièces de choix).
Par son film, Jean-Stéphane Bron nous offre non seulement le portrait d'un homme qui a métamorphosé le paysage politique du pays mais celui d'une certaine Suisse enserrée dans ses peurs et ses incertitudes, qui espérait qu'au soir des élections fédérales de 2011 l'Union démocratique du centre aurait laminé les partis gouvernementaux traditionnels. Il n'en a rien été, ce qui a donné lieu à une boutade: «Quelle différence entre l'UDC et une Smart? La Smart, elle, a deux sièges...» Merci au réalisateur de prendre ses spectateurs pour des adultes en leur offrant un documentaire savamment dosé et dramatiquement bien conduit.

Daniel Grivel

Appréciations

Nom Notes
Daniel Grivel 18
Geneviève Praplan 18
Nadia Roch 19
Anne-Béatrice Schwab 18