Faust

Après Moloch (consacré à Hitler), Taurus (sur Lénine) et Le Soleil  (sur Hirohito), Alexandre Sokourov boucle sa tétralogie sur la nature du pouvoir en revisitant le mythe de Faust, d'après l'adaptation de Goethe. En bon esthète qu'il est, le cinéaste russe a particulièrement soigné son image; la photographie est signée Bruno Delbonnel, primé notamment pour Le fabuleux destin d'Amélie Poulain, et les décors du village postmédiéval labyrinthique sont remarquables. Ainsi le spectateur est-il habilement plongé dans une atmosphère étrange où se mêlent, au gré des pensées (assez confuses) de Faust, les différentes thématiques du conte allemand: l'amour, les pulsions, le désir, la foi, la force de la science face à l'obscurantisme, comme une synthèse de la condition humaine, de son aveuglement, de son inconséquence.
Porté par les dialogues de Faust et du Diable (auxquels l'interprétation des acteurs donne vitalité et urgence), le film est un véritable déferlement de paroles et d'argumentations - tantôt métaphysiques, tantôt triviales - dont Sokourov s'empare avec fluidité et malice (habile jeu sur le décalage son/image), comme s'il filmait un thriller fantastique (s'autorisant même de savoureuses incursions vers la science-fiction). Le résultat - riche, dense, parfois abscons ou pompeux - prend le risque de décontenancer voire de révulser. Extrême, la proposition de Sokourov se double d'une ambition un peu lourdement affichée, comme si le réalisateur avait trop conscience de signer là un chef-d'oeuvre. Il n'empêche, plusieurs scènes (la chute dans le lac, les bains publics) constituent de grands moments de cinéma.

François Barge-Prieur in Fiches du cinéma

Ce film a obtenu le Lion d'Or à la Mostra de Venise 2011.