Le Grand Retournement

Cinéaste volontiers «agit prop», Gérard Mordillat adapte ici «D’un retournement à l’autre», pièce de théâtre de l’économiste Frédéric Lordon. Une comédie sur la crise financière actuelle.

Un décor de friche industrielle, une usine désaffectée: quatre banquiers tirés à quatre épingles circulent dans des ateliers délabrés en se lamentant, accusant les traders d’être à l’origine de tous leurs maux financiers. Aux abois, ils se résolvent à implorer l’aide de leur ennemi juré, l’Etat. Les voilà chez le Président de la République française (un jeunet tripotant un joujou informatique), flanqué de son Premier Ministre et de deux ou trois conseillers, parmi lesquels un (seul) contradicteur de l’officialité.

LE GRAND RETOURNEMENT se présente immédiatement comme un défi  les protagonistes ne s’exprimeront qu’en alexandrins classiques, ce qui change du sabir financier habituel. La langue est belle, les textes sont ciselés et les «chutes» des répliques volontiers cocasses. Militant sur le fond, le film est drôle et stylisé dans sa forme. Seules quelques archives de manifestations populaires et urbaines – on retrouve là l’actualité – viendront s’intercaler dans les tirades littéraires. Nous sommes à la veille du «Grand Soir», semble dire Mordillat mais, en attendant, l’humble citoyen-contribuable – l’Etat fera fiasco à son tour - continuera à passer à la caisse pour rembourser ce qu’on ne lui a jamais rien prêté…

Opus atypique, en noir et blanc essentiellement, ce film est porté par d’excellents acteurs. Voilà un pamphlet savoureux et triste à la fois, qu’il faut avant tout écouter (amateurs d’actions s’abstenir!). On relèvera cependant que les effets de surprise disparaissent assez vite, chaque spectateur ayant encore en mémoire les étapes historiques de la récente débâcle financière. Et la conclusion – «qui sème la misère récolte la colère…» - ne surprendra personne…