Zero Dark Thirty

Affiche Zero Dark Thirty
Réalisé par Kathryn Bigelow
Pays de production U.S.A.
Année 2012
Durée
Musique Alexandre Desplat
Genre Thriller, Action
Distributeur Universal Pictures International France
Acteurs Jennifer Ehle, Mark Strong, Joel Edgerton, Jessica Chastain, Jason Clarke
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 673
Bande annonce (Allociné)

Critique

Dans ce récit de la traque d’Oussama Ben Laden, la fiction rejoint la réalité et crée la polémique, en soulevant bien des questions nécessaires. Et tout cela à travers le portrait d’une femme intelligente et déter-minée.

Les premières images du film n’en sont pas puisque, sur un écran resté noir, se font entendre quelques ultimes échos des attentats du 11 septembre 2001, quelques mots avant un terrible silence. La traque d’Oussama Ben Laden peut alors commencer, et ce sera la mission de la CIA (Agence centrale du renseignement) de dénicher sa planque.

Si, dans un film de guerre - car il s’agit bien de cela -, la première place est généralement dévolue aux hommes, c’est ici une femme qui tient le premier rôle. Il s’agit de Maya (Jessica Chastain, Golden Globe de la Meilleure actrice), agente de la CIA, qui débarque au Pakistan fin 2003, pour y retrouver Dan (Jason Clarke), collègue chargé des interrogatoires des membres de l’organisation poursuivie, et pour tenter de découvrir où se cache Ben Laden. Mais les mois passent et, malgré les exactions commises, les résultats escomptés ne sont pas au rendez-vous. En outre, en janvier 2009, le président Barak Obama, à peine élu, interdit l’emploi de la torture pour obtenir des renseignements, comme le rappelle l’unique document d’archives TV montré dans le film.

Ben Laden demeure donc introuvable, au point que certains croient à sa mort, mais d’autres attentats se produisent, comme le 7 juillet 2005 à Londres, le 20 septembre à l’hôtel Marriott d’Islamabad, en novembre 2008 à Bombay, et même le 30 décembre 2009 sur la base opérationnelle Chapman contre une installation secrète de la CIA en Afghanistan, attentats toujours revendiqués par des groupuscules liés à la mouvance Al-Qaïda.

Maya poursuit donc inlassablement ses recherches, tentant de comprendre comment les ordres sont donnés, par où passent les courriers (Al-Qaïda a définitivement abandonné les courriels), qui en sont les messagers, quels sont les liens de famille… Elle recoupe pour cela des milliers d’informations, examine les innombrables documents qu’elle reçoit de l’agence. Ses supérieurs exigent des résultats. «Je veux des cibles! Je veux des gens à abattre», hurle l’un d’eux lors d’une réunion pour faire le point de la situation.

Solidement campée par Jessica Chastain d’apparence frêle, mais tenace, proche du personnage de Jodie Foster dans Le Silence des Agneaux, Maya ne lâche rien. Cette quête est presque devenue une affaire personnelle, tant elle a été touchée par la mort de collègues à Chapman. Aussi s’acharne-t-elle en suivant son intuition, jusqu’à s’intéresser progressivement à un nom qui revient fréquemment: Abu Ahmed al-Kuwaiti. Mais qui se cache derrière? Et cet homme est-il encore vivant? Les doutes semblent l’emporter, jusqu’au moment où remontent des informations capitales qui avaient été totalement sous-estimées, voire écartées, ce qui explique partiellement que la traque soit devenue au fil du temps celle d’un fantôme.

D’ailleurs, le projet initial de Kathryn Bigelow était précisément de relater une quête inachevée, lorsque, début 2010, l’Histoire en décide autrement et qu’il apparaît probable que Ben Laden se terre dans un village du Pakistan. Avec intelligence, la réalisatrice a donc opté pour en révéler le plus possible, quitte à déranger. Elle n’hésite par exemple pas, au début du film, à montrer quelques scènes de tortures (simulation de noyade, agressions physiques et mentales, enfermement dans une petite boîte, humiliations sexuelles…), mais sans en faire l’apologie. La violence des images (sans effets musicaux, ni pathos) n’est ici pas gratuite, mais elle permet de revenir sur les exactions commises à l’endroit des prisonniers en vue d’obtenir des informations et de sauver des vies en évitant d’autres attentats. Avec raison, Ben Laden lui-même n’est quasi pas montré, juste identifié par Maya (à l’issue de l’action commando), qui, elle seule, était persuadée «à 100%» d’avoir mis la main sur lui, et, avec raison, rien n’est rappelé à propos de ce qui est fait de sa dépouille.

L’intérêt de cette réalisation très bien construite et complexe - car seule la toute dernière partie cède la place à l’action d’une unité des forces spéciales - tient beaucoup plus qu’à l’explicitation d’une enquête. Certes, Kathryn Bigelow, à qui l’on devait le remarqué Démineurs, ne remet pas en question la politique étrangère des Etats-Unis, mais elle n’écarte pas pour autant les questions éthiques soulevées par l’usage de la torture, elle ne gomme pas les erreurs humaines qui ont rendu cette quête si longue. En conséquence, son récit permet de mieux comprendre la logique mortifère du terrorisme islamique, incarnée par Ben Laden. Il faut en effet le souligner, ce dernier n’a (eu) pas de conséquence sur le véritable cours de l’histoire, car le projet de Ben Laden et de ses éventuels successeurs de rassembler l’essentiel du monde musulman du Maghreb au Machrek dans un califat regroupant tous les croyants a complètement échoué.

Serge Molla

Appréciations

Nom Notes
Daniel Grivel 18
Serge Molla 18
Antoine Rochat 14
Georges Blanc 17
Anne-Béatrice Schwab 13