«C’est tout lui!» est-on tenté de penser en voyant Fabrice Luchini, barbe de trois jours, regard incandescent, interpréter le rôle de Serge Tanneur, comédien retiré dans une vieille bicoque sur l’île de Ré, cherchant le ton juste pour interpréter «Le Misanthrope» de Molière avec un de ses confrères, star d’un feuilleton télévisé (Lambert Wilson). Ce dernier est venu le convaincre de remonter sur scène pour jouer Molière. Entre l’ours mal léché et la vedette de télé au brushing laqué et au manteau blanc godiche commence un singulier duel, tantôt à bicyclette sur les chemins de l’île désertée par les touristes et battue par les vents, tantôt dans la tanière du comédien revêche. Qui sera Alceste, le misanthrope qui s’insurge contre la bêtise humaine, qui sera Philinte, l’ami indulgent face aux hommes? Serge Tanneur acceptera-t-il de remonter sur les planches? Le suspense dure jusqu’à l’avant-dernière image. Les deux comédiens vont se frotter l’un à l’autre, alternant les rôles au gré de leur évolution intérieure. L’acteur bourru pousse peu à peu son partenaire dans ses retranchements et dégoupille la bombe qui est en lui. On suit, amusés et captivés, les joutes des deux hommes qu’une femme italienne, venue sur l’île vendre sa maison à la suite d’un divorce qui l’a blessée, va singulièrement perturber.
L’air du large va bien aux alexandrins de Molière. Il les vivifie, les fouette, souligne leur pertinence. Nul besoin de les moderniser selon une mode qui a cours actuellement au théâtre, ni de les interpréter avec une emphase d’un autre siècle. On s’aperçoit à quel point ils collent encore à notre temps. Inspiré par Fabrice Luchini à Philippe Le Guay - les deux complices ont déjà quatre films à leur actif, dont Les Femmes 6e étage -, le film est pétillant, drôle parfois, grave aussi.
