Dans la brume

Affiche Dans la brume
Réalisé par Sergei Loznitsa
Pays de production Russie, Allemagne, Lettonie, Pays-Bas
Année 2012
Durée
Genre Drame
Distributeur trigonfilm
Acteurs Vlad Ivanov, Vladimir Svirskiy, Vladislav Abashin, Sergeï Kolesov, Julia Peresild
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 672
Bande annonce (Allociné)

Critique

L’action - si l’on peut dire - se passe en 1942, à l’ouest de l’URSS. La région est occupée par les troupes allemandes, qui se livrent à des exactions brutales. Trois résistants sont pendus sur la place d’un village. Plus tard, deux hommes armés traversent une forêt nuitamment et s’approchent d’une isba isolée; l’un d’entre eux y pénètre et en ramène un homme effrayé. Il s’avère que celui-ci est considéré comme un résistant ayant trahi ses trois camarades exécutés. Par des flash-back successifs, on découvre la destinée des deux hommes armés et du prétendu traître, chargé de creuser sa propre tombe dans la forêt. L’intervention d’une patrouille allemande le sauve, et il devra se charger, dans tous les sens du terme, du corps rapidement devenu cadavre de son bourreau. Au fil du lent déroulement du film, on apprend que le condamné est en fait un résistant qui a été volontairement relâché par un officier allemand pour servir d’appât. Le brave homme est coincé et ne peut absolument pas prouver sa bonne foi; il se trouve confronté à un choix moral dans des circonstances immorales.

Le film aux accents dostoïevskiens est de facture très classique, avec des images superbes, une bande-son où dominent les bruits de la forêt, une interprétation sobre et magistrale. On comprend que la FIPRESCI lui a décerné son Prix.

Daniel Grivel



Le film rappelle les heures sombres de la Seconde Guerre mondiale. Mais il s’agit avant tout d’une expérience humaine au cœur de l’arbitraire.

Dans la brume s’inspire d’un roman de l’écrivain biélorusse Vassili Bykov (1924-2003). Envoyé au front en 1942, il a consacré le reste de sa vie à écrire sur cette guerre et les traumatismes dont elle a marqué les personnes de sa génération, «je parle d’une génération assassinée», précise-t-il. Son compatriote, le réalisateur Sergei Loznitsa, est né en 1964 et n’a donc pas connu cette tragédie. Pourquoi s’attache-t-il au roman de Bykov? Ni sous le régime soviétique ni sous la culture postsoviétique les artistes n’ont trouvé l’opportunité de s’exprimer sur cette période sans biaiser la réalité, explique-t-il. «Or, ces événements tragiques doivent être relus et analysés. Je considère que c’est mon devoir de le faire, de regarder dans le passé et, par conséquent, vers le futur.»

Dans un petit village de Biélorussie occupé par les nazis, trois résistants viennent d’être pendus. Mais le quatrième a été relâché. Pour la Résistance, la seule façon d’expliquer la clémence allemande est que Sushenya (Vladimir Svirskiy) a trahi ses compagnons et collaboré avec l’ennemi; il doit donc payer, selon les lois de la guerre. Deux partisans, Burov (Vladislav Abashin) et Voitik (Sergei Kolesov) se rendent chez lui et l’emmènent loin de sa famille.

La brume dont il est question dans le titre du film recouvre les steppes, se glisse dans les bois et brouille les images. Elle est autant symbolique que réelle, troublant un raisonnement déformé par quelques mois de guerre. «Peut-on changer en si peu de temps?», demande Sushenya, lui qui est resté fidèle à la morale humaine et en paie aujourd’hui le prix insupportable.

Les trois personnages principaux, Sushenya, Burov et Voitik représentent trois types de caractères. Le premier est celui de l’honnête homme, emporté dans une tourmente dont il ne maîtrise pas le moindre courant. Le deuxième est un homme dur qui a gagné le camp des partisans pour se venger d’avoir été humilié par la police allemande. Le troisième est un individu peureux, opportuniste, intéressé surtout à sauver sa peau. Ces caractères se précisent au fur et à mesure qu’avance leur confrontation. Du point de vue du récit, c’est cette rencontre qui donne au film sa puissance, ce sont les révélations qu’elle apporte qui bouleversent parce qu’y est mise à nu la fragilité humaine.

Mais le réalisateur inspire sa narration par sa manière de filmer et par une esthétique remarquable. De longs plans rapprochés sur des dialogues limités au strict nécessaire, des retours en arrière pour expliquer ce qui n’apparaîtrait pas dans l’expression des trois hommes, une bande-son abandonnée aux bruits naturels: le souffle du vent, le bruissement des feuilles, le cri des corbeaux… Et, justement, la force et la sérénité, l’indifférence prodigieuse de la nature, comme un démiurge qui regarde à ses pieds, de petits êtres s’anéantir.

Film sur la conscience et la dignité, sur le déterminisme et l’impuissance, Dans la brume oublie le combat physique de la guerre pour montrer celui qu’elle engage dans l’intimité des êtres. Si les blessures infligées au corps finissent par se fermer, celles dont l’âme est victime ne guériront peut-être jamais.

Geneviève Praplan

Ancien membre

Appréciations

Nom Notes
Georges Blanc 18
Daniel Grivel 16
Serge Molla 16
Geneviève Praplan 18
Antoine Rochat 17
Philippe Thonney 14